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SERVICE de PSYCHIATRIE et de PSYCHOLOGIE MEDICALE

CHU ANGERS

 


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Copyright SERVICE DE PSYCHIATRIE ET DE PSYCHOLOGIE MEDICALE CHU ANGERS 2004

1ère RENCONTRE DE GERONTOPSYCHIATRIE
ET
DE PSYCHOGERIATRIE EN ANJOU

ANGERS , LE JEUDI 21 OCTOBRE 2004

LA PART DU TRAUMATIQUE EN CLINIQUE GERONTOPSYCHIATRIQUE  

Dr F. DIBIE-RACOUPEAU Psychiatre 
Centre Hospitalier St Jean de Dieu (Lyon)

 

« Le traumatique est une des veines
qui traverse la terre psychique 
»

A. POTAMIANOU [1].

Ce traumatique est à entendre comme relevant  de l’intra–psychique, c’est à dire hors d’une réalité objectivable : ce ne sont pas tant les évènements qui vont alors compter, mais bien les mesures défensives du psychisme suscitées par ce non-supportable qui traverse toute existence : autant de patients, autant d’histoires banalement douloureuses, d’autant que la vie s’allonge.

Une telle définition du traumatisme repose sur la notion de continuité de la vie psychique, où les difficultés du 3° âge renvoient à des difficultés de l’enfance ou l’adolescence, où l’actuel intervient comme un après-coup d’une situation antérieure, et où l’histoire psychique est centrale, ce qui  impose un patient travail d’ "historicisation " cherchant à renouer le fil entre passé et présent pour tenter d’approcher la construction de la réalité psychique [2].

D’autre part, la prise de conscience de la vieillesse s’impose brutalement au psychisme, sur le mode de la rupture, de l'effraction, avec ce sentiment que l’après ne sera plus jamais comme avant,   ce qui est au cœur de la définition du trauma ! …. M. MANNONI le confirme dans LE NOMME ET L’INNOMMABLE en affirmant : « quand la vieillesse vous tient, c’est toujours de façon inattendue ».

Cette prise de conscience du vieillissement survient souvent après des pertes en cascade, à l’occasion de la perte « en plus » qui risque d’être celle « en trop »… On en connaît les causes par dessaisissements successifs de certains rôles (familiaux, sociaux etc…) qui contribuent à désagréger la représentation que l’on a de soi et celle que renvoie le regard des autres. Cette désagrégation entre les représentations personnelles et celles qui nous viennent de l’extérieur agit comme un traumatisme tardif qui vient en redoubler un autre, ancien, remontant très loin dans l’histoire de vie de nos patients et ce moment néotraumatique peut s’assimiler à une rencontre explosive entre dedans et dehors, entre passé et présent, où la perception actuelle rappelle une perception d’autrefois qui n’avait pas pu être métabolisée et avait gardé sa charge émotionnelle [3]. Selon la nature de cette charge émotionnelle ancienne, c'est-à-dire selon l’histoire individuelle de chacun, les choses s’organisent soit dans un registre d’angoisse diffuse (c’est un moindre mal), soit (plus grave) dans celui d’un « Moi débordé » : ce sont les situations qui nous échoient en gérontopsychiatrie. 

La question de la manière dont nos patients vont faire savoir cette souffrance traumatique se pose, car leur plainte prend rarement la voie commune d’expression dûment formulée d’une douleur ou d’une peine. Elle se fera néanmoins connaître à travers tours et détours : un  « Moi débordé »  se trouve réduit à survivre grâce à des compromis symptomatiques qui  tournent en général autour de la répétition et de la régression avec une appétence particulière – traumatophilique - à la répétition compulsive comme si se jouait un appel répété au traumatique pour combattre l’impression de débordement. Comme si re-créer sans cesse du traumatique l’empêchait d’advenir, et empêchait de s’effondrer : ces patients  donnent en effet le sentiment d’être en proie à ce « pire » qu’évoque R. ROUSSILLON [4] « ces expériences catastrophiques, ces vécus de mort psychique et d’angoisses extrêmes » tellement menaçants qu’il faut, pour survivre, se couper de toute possibilité de se les représenter. Ou encore d’être aux prises avec un état de détresse psychique comparable aux « angoisses impensables » du nourrisson, pour reprendre une terminologie winicottienne. La traumatophilie donc, serait issue d’un rapport particulier à un originaire traumatique, avec expériences répétitives de mise "en tension" (des patients) et "sous tension" (des soignants), comme si ces conduites pouvaient protéger d’une angoisse envahissante. Dans la mesure où –rappelons le- il  s’agit d’autant de  tentatives d’adaptation à quelque chose d’insupportable, ces compromis symptomatiques ne seront pas à éradiquer brutalement, mais à respecter autant que faire se peut, le temps que quelque chose d’autre puisse se mettre en place pour ce type de patients …..

Tous les évènements de la vie – y compris le vieillissement- peuvent se révéler traumatiques, fonction du sujet qui les éprouve et de son histoire propre : ce que nous apprennent nos patients et encore plus ceux chez lesquels la plainte traumatique prend cette tournure traumatophilique, c’est leur inaptitude,  particulièrement sollicitée lors du vieillir, à perdre et à se séparer : c’est comme si la perte en plus venait opérer au dehors et dans la réalité quelque chose qui est refusé au-dedans sur la scène psychique, en raison d’une construction particulièrement précaire du lien à l’autre, remontant à l’orée de la vie : on retrouve souvent chez ce type de patients des mères décrites comme dures, inaffectives ou absentes ou encore déprimées, en particulier dans leur petite enfance. Ou bien ce sont les circonstances de vie qui les auront privés de ce nécessaire étayage du tout début de la vie et  cette construction défaillante fera vivre toute perte ultérieure comme un risque d’ "hémorragie psychique" à éviter à tout prix, parce qu’il n’aura pas été possible d’élaborer au-dedans de soi quelque chose qui permette de faire avec la réalité extérieure [5].

Cette défaillance originaire du socle identitaire signe une fragilité de la structuration psychique qui ouvre la voie à des états pathologiques ultérieurs. En attendant, ces aménagements psychiques précaires peuvent néanmoins tenir (même si on se demande souvent comment !) pour ne décompenser qu’à l’occasion de la confrontation  à un des traumatismes ou une des blessures narcissiques fréquentes lors du vieillissement. De la rencontre avec ce deuxième traumatisme tardif, peut advenir sur un mode suraigu (comme une caricature de crise d’adolescence) une désorganisation, voire une désintégration psychique [6] et c’est tout l’enjeu de la prise en charge de tels patients !

 Par ailleurs, les  effets de leur symptomatologie sur l’entourage sont dévastateurs, sous le sceau du traumatique en miroir, avec néanmoins comme bénéfice d’être à la fois au centre du cercle de famille et des préoccupations soignantes.

·                    Du côté des soignants, sont  à l’œuvre des ressentis difficiles, avec des vécus d’impuissance, de nullité parfois, générés par la relation particulière qu’établissent ces patients sur le mode de l’emprise à l’autre en le soumettant à un lien qui tantôt attache, tantôt repousse … ce qui va demander une vigilance particulière pour ne pas tomber dans les pièges qu’il induit : cela requiert tout un travail d’ajustement "à la bonne distance affective profitable" [7] et nécessite des  dispositifs de soins éprouvés et des équipes formées pour ne pas être dans du traumatique infligé en retour. Il ne faut surtout pas se laisser attirer sur le même terrain, celui du passage à l’acte par exemple ... Cela suppose d’être suffisamment au clair avec le surgissement de ses propres défenses pour ne pas se rigidifier du côté seulement de la maîtrise au risque d’alimenter l’engrenage traumatotropique : chez ces patients (comme chez l’adolescent), une véritable provocation peut être à l’œuvre, d’autant que les familles malmenées s’y mettent aussi en général !...

·                    Du côté des familles, l’effet traumatique est démultiplié :

Ä Elles doivent faire face à la difficulté, voire l’impossibilité d’inscrire cet épisode dans leur histoire, prises entre l’actuel à vivre et le passé qu’il réactive.

Ä Elles doivent simultanément faire avec  « l’inquiétante étrangeté » subitement révélée de leur proche qu’elles décrivent unanimement comme méconnaissable.

Ä Sans compter qu’elles se retrouvent au cœur d’une tourmente : se manifestent toujours chez ces patients un abandon de leur position parentale et le surgissement d’une violence à l’égard de leurs enfants, à la mesure de celle qu’ils exercent contre eux-même. Le tout sur fond de téléscopage des générations qui agit comme une rupture dans la transmission trangénérationnelle,  et répète probablement celle qui a eu lieu,  en son temps, pour eux . Haydée  FAIMBERG parle à cet égard de "parents filicides" dans un contexte de relation d’emprise pour obtenir satisfaction de ses enfants sur un mode de relation d’objet narcissique qui ne les tolère …  qu’à la condition qu’ils procurent du plaisir !… [8]   

Ä Les familles subissent encore ce dévoilement brutal, cette « mise en place publique » de ce qui aurait dû rester du registre de l’intime. Cet échec de n’avoir pas pu ou pas su préserver ses liens et ses idéaux constitue une blessure narcissique qui porte le risque d’un double désinvestissement : celui du parent et celui de la famille perçue comme un tout et atteinte dans son intégrité [9].

Ä Enfin, un autre effet traumatique réside dans l’incertitude partagée face à l’avenir et à l’évolution de tels états. Il est particulièrement délicat d’apprécier les capacités de fonctionnement autonome du moi de tels malades, qui nous en donnent plutôt à voir les conditions de désagrégation à travers les situations cliniques quasi-expérimentales auxquelles ils nous confrontent.

Quelles seront – dès lors - les possibles  issues thérapeutiques ?

·                    Accueillir la plainte traumatique : cet accueil exige un cadre thérapeutique  à la fois solide et malléable, qui tienne sur la durée en s’adaptant, toutes capacités que doivent offrir nos dispositifs de soin en se mettant aussi à disposition du groupe familial au travers de "consultations thérapeutiques ouvertes" (ce qui renvoie aux dispositifs pédopsychiatriques), constituées idéalement des mêmes soignants (c’est dire la pertinence de la référence infirmière) présents du début à la fin de la prise en charge [10]. Des séances individuelles alternent avec des rencontres familiales groupales, permettant un cheminement progressif conjoint qui peut resituer les uns et les autres dans la donne familiale.

·                    Entendre la plainte traumatique : « Nos patients transitent par des chemins qui n’ont pas été balisés par l’empreinte de la médecine habituelle … et n’ont rien à voir avec les méthodes dont on dispose pour soigner les malades en général …. » [ 11]

On voit donc que la question n’est pas nouvelle puisqu’elle a été formulée avant nous par les promoteurs du soin institutionnel, spécificité psychiatrique bien française,  qui propose une prise en charge par une équipe multidisciplinaire dans laquelle les soignants, à travers leur capacité d’accueil, occupent une place d’ "appareil psychique groupal". C’est ce qui aidera à  penser les "non-pensées"  et à étayer ce type de patients rendus à un état de dépendance tel qu’ils ont  besoin de l’autre jusqu’à être « portés » - à tous les sens du terme - par lui. On connaît alors l’importance d’un maternage intensif, mais nécessairement temporaire sachant que, pour les soignants, c’est un exercice difficile d’exercer une telle sollicitude à la fois intense et discontinue.

Le corollaire en est que l’institution hospitalière et ses soignants doivent être l’objet de soins aussi attentifs que ceux portés aux patients, pour s’organiser comme un temps plein thérapeutique,  ordonné par un projet médical, dans un processus perpétuel d’emboîtement de soins qui fonde véritablement ce soin psychothérapique institutionnel.

·                    Décoder la plainte traumatique : la question de fond est celle du devenir de ce "débordement traumatique du moi" : simple désorganisation ou désintégration ?

Ä Un premier niveau de "décodage" interroge la fonction de la répétition dans le traumatisme :

- Elle peut constituer une tentative de liaison : la remise en valeur répétitive du trauma peut permettre que s’installe à la place du vide psychique, un contenu peu à peu représentatif et verbalisable et l’on assiste à une amorce de liaison aussi précaire soit-elle.

- Un autre principe de répétition conduirait à une issue plus malheureuse, où la répétition de l’état traumatique devient en elle-même traumatique, ce qui va dans le sens du trauma et de ses effetsdésorganisateurs. [12]

Ä Un deuxième niveau de "décodage" interroge la fonction de la mise en tension du lien à l’autre : GUILLAUMIN y voit une dynamique de séparation à l’œuvre qui se caractériserait par un refus du lien en le déplaçant à l’extérieur et le  disqualifiant par des passages à l’acte invalidant le(s) thérapeute(s) en le(s) réduisant à l’impuissance [13]. Il le compare à un processus d’ "expulsion" inexorable et nécessaire du thérapeute en train de devenir sinon un recours trop nécessaire, redoublant la dépendance : le patient, à travers sa violence traumatophile, donne à cette séparation un sceau d’urgence impérieuse comme pour se permettre le franchissement vers un ailleurs, celui d’un retour à une certaine autonomie. La violence de cette séparation signale qu’il y a quelque chose ou quelqu’un à rejeter dont le thérapeute n’est que le substitut temporaire et qu’il s’agit d’un besoin vital : il convient donc de ne pas négliger le pouvoir positif que la démarche traumatophile manifeste, si on lui accorde ce caractère. La relation établie avec les soignants peut s’entendre comme reproduisant quelque chose d’une relation de type maternelle archaïque, réactualisée à ce moment de crise de la sénescence et qu’il faut fuir malgré (et justement à cause) de la tentation/fascination qu’elle exerce.

Le vieillard sait d’une certaine façon qu’à ce moment de sa vie, il est reconvoqué (comme il l’a pu l’être adolescent) à faire le choix de comment exister désormais … Ce moment est potentiellement violent et l’appel au traumatisme peut prendre le sens d’une invocation à une médiation violente du réel.

Donc cette appétence traumatique peut être différenciatrice et personnalisante. Encore faut-il se donne les moyens d’accompagner le patient à répéter l’essai et à le transformer, même – et surtout - si les moyens qu’il met en œuvre pour le faire paraissent bien énigmatiques …


 BIBLIOGRAPHIE

1.  POTAMIANOU  A. : Le traumatique, répé-tition, élaboration, Collection Psychisme, DUNOD, Paris, Mai 2001, 160 p.

2JANIN C. : « Traumatisme, Traumatique et Ages » in Age et Traumatisme, 13° Journée d’Etudes de l’ARAGP, 08/03/97, pp 1-17.

3
BURLOUX G.  :  « Pourquoi la dou-leur ? », in Revue française de psychanalyse, 1999,  T. LXIII, L’affect et sa perversion, pp 43-55 ;] 
« Moi » défini com-me pôle structurant de la personnalité, médiateur entre le Ça et la réalité extérieure et sur lequel s’établit l’identité)

4 ROUSSILLON R. - ACTUALITE DE WINNICOTT - Le Paradoxe de Winni-cott, IN PRESS EDITIONS, 1999, pp 9-26.,

5 GUILLAUMIN J. : « La clinique de la perte à la recherche d’une métapsycho-logie de la sépa-ration. » Les cahiers de l’IPPC, 1989, 10, pp 52-64.

6 BERGERET J.  : Abrégé de Psycho-logie Pathologique, MASSON, 1972, « Les états-limites et leurs aménage-ments »,  pp 179-195.

7 LE GOUES G. : Le psychanalyste et le vieillard, PUF, 1991, 205 p. 

8 FAIMBERG H. : Le téléscopage des générations. In Transmission de la vie psychique entre générations, DUNOD, Collections Inconscient et culture, Paris 1993,  pp 59-80

9 CHARAZAC P, Introduction aux soins gérontopsychiatriques, Paris, DUNOD, 2001.

10 DIBIE-RACOUPEAU F., SAGNE A., «L’aide des professionnels aux aidants familiaux des malades Alzheimer », Soins Gérontologie – n° 49-sept/oct 2004, pp 33-36.

11 TOSQUELLES F. Préface, Psychiatrie et Psychothérapie institutionnelle de J. OURY, Traces, Payot, Paris 1976, pp 7-17.

12
PERUCHON M. :    « Le trauma et ses relations avec la démence sénile de type Alzheimer. » Psychothérapies des Démences,
John Libbey Eurotext, Paris, 1996, pp 54-57

13
GUILLAUMIN J. :
Besoin de trauma-tisme et adolescence, Adolescence, 1985, 3, 1, pp127-137