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SERVICE de PSYCHIATRIE et de PSYCHOLOGIE MEDICALE

CHU ANGERS

 


Avertissement : toute référence à cet article doit faire mention de son auteur et du site de la "Psychiatrie Angevine"
Copyright SERVICE DE PSYCHIATRIE ET DE PSYCHOLOGIE MEDICALE CHU ANGERS 2003

UNE BREVE HISTOIRE DU SUJET ?

(éditorial à paraître in Act.Méd.Int.-Psychiatrie (20), n° 8/9,nov-déc 2003)


Les  Etats généraux de la  psychiatrie, dont les ondes de choc ne cessent d'
affleurer à la surface de toutes les pages de nos revues professionnelles et
syndicales, m'invitent à risquer encore, ici, quelques questions.

Mais d'abord un constat : au centre de cette quasi unanime clameur, et malgré
cris et chuchotements : un même sujet, un même taraudant leitmotiv : le
Sujet, la subjectivité, l'intersubjectivité ! ...

On voudra bien prêter attention au timbre de cette voix : « Sujet assujetti
(par les neurosciences, les évaluations, les taxinomies made in USA
? ...), donc « dé-sujetti », Sujet assiégé, fracturé, morcelé, jadis divisé voire
extatique, puis réifié, aliéné, Sujet mortifié mais. Sujet libéré ! ... ».

Et  pourtant, cette (trop) brève histoire du Sujet me semble devoir
excéder amplement les bornes implicites qu'un tel discours semble vouloir
lui assigner, si l'on veut bien mesurer l'espace considérable qui se déploie
de l'a-subjectivité originelle présocratique aux figures post-subjectives du
Dasein, en passant par l'avènement cartésien de l'ego cogito et sa subversion
freudo-lacanienne.

Question : le Sujet est-il aujourd'hui d'actualité ?  Quelle est l'actualité
du Sujet ? Est-ce une question d'actualité ou tout au contraire une question
inactuelle voire intempestive ?
Hors sujet le Sujet ?

Certes  non, mais  faut-il pour autant accentuer encore davantage cette
approche anthropocentrique de la Psychiatrie dont le Sujet bien
sauvegardé, bien gardé dans sa « dignité subjective » serait comme le garant
intangible de notre éthique, de notre praxis, et déconsidérer un peu
hâtivement tout le champ des pratiques dites de « santé mentale » ?

Et à trop vouloir faire du Sujet l'Objet d'un consensus, n'annihilons-nous
pas du même geste ce que nous voulions précisément sauvegarder ?

Car le Sujet  toujours se rebiffe ; tente-t-on de le saisir, de le
revendiquer pour le sauver (presque malgré lui) qu'aussitôt il se soustrait,
nous dédaigne voire nous désavoue : destitution subjective !

Franchement,  cela ne va pas de soi que nous soyons tous unanimement d'accord
à son sujet. Difficile aussi de plaider la cause du Sujet de l'
Inconscient, et si de la bouche « d'un qui parle » un tel discours est
proféré sous les feux des médias, l'implosion voire l'explosion dudit sujet
qui a parlé est garantie, comme on l'a observé récemment lors d'un talk show
télévisé qui restera mémorable ! L’Inconscient, sauf à le réifier, n'a pas
besoin de porte-parole ; il sait très bien faire tout seul.. Il ne saurait
donc y avoir de  « Manifeste (collectif)  de l'Inconscient » et toute
revendication un peu trop institutionnelle à son sujet  risque, me
semble-t-il, de donner lieu aux pires malentendus.

Indomptable Sujet, sacré Sujet ! Plus on lui veut  du bien et plus il file à
l'Anglaise (voire à l'Américaine) ! Impossible donc pour le Sujet (de la
subjectivité toujours)de faire l'objet d'un consensus bienveillant. A dire
vrai le Sujet n'en a sans doute rien à faire de ce souci-là.

Lui importe davantage notre praxis dont la mise en jeu ne saurait se réduire
au colloque seulement singulier, mais s'étend aux multiples échanges du
professionnel avec ses partenaires médicaux, sociaux, familiaux
, administratifs, culturels, politiques.

Le Sujet ne doit-il pas précisément rester un sujet de discorde, c'est-à-dire
un sujet toujours habité par le « polémos héraclitéen » qui n'est rien de
paisible et fait son « vif » (du sujet), en un temps où dominent l'évitement
de la conflictualité (1), la pacification forcenée et le zapping
généralisé(y compris de soi-même) ? .

L'écueil possible d'un tel consensus serait la clôture ; et la clôture c'est
la mort. Peut-être que la meilleure façon d'en finir avec le Sujet c'est en
effet d'être tous d'accord à son sujet.

Puisse donc le Sujet rester un sujet qui divise les « fragments
questionnants » (2) que nous, mortels, sommes, un sujet qui divise et
rassemble en un jeu dialectique qui rapproche tout en séparant, tout en
différenciant.

Après la mort de Dieu, la mort du Sujet est-elle annoncée ?
 Le Sujet qui abandonne sa finitude(à moins que ce ne soit la finitude qui
le délaisse, comme en témoignent les diverses formes socio-anthropologiques
de l'institutionnalisation du refoulement de la mort que stigmatise
Hans-Georg Gadamer[3] par exemple), de qui, de quoi, reste-t-il le sujet ?

Car c'est la finitude du Sujet- grâce céleste ou infernale- qui permet
précisément au Sujet de ne jamais en finir avec sa propre fin, ni avec celle
de l'autre Sujet. L'altérité du Sujet, c'est sa finitude. Je ne suis un
autre pour un autre qui ne l'est réciproquement pour moi qu'en tant que nous
sommes chacun marqués du sceau de notre propre et insubstituable finitude.
Nous partageons l'impartageable et c'est ce qui fonde notre dialogue- "nous
sommes un dialogue", selon le mot de Hölderlin(4).

 La question du Sujet est bien un sujet récurrent et de ne pas en finir avec
le Sujet est plutôt bon signe. Sujet et contre-sujet : c'est la fugue du
Sujet qui s'éclipse pour mieux resurgir.
Finalement le Sujet, c'est très subjectif et parler du Sujet reste un sujet
sans fin.
Bruno Verrecchia, Psychiatre des Hôpitaux, CHU de Brest
Bruno.verrecchia@chu-brest.fr

Références
1. GAUCHET Marcel. La démocratie contre elle-même. Paris : Editions
Gallimard, collection Tel, 2002.
2. AXELOS Kostas.Ce questionnement. Paris : Editions de Minuit, collection Arguments, 2001.
3. GADAMER Hans-Georg Philosophie de la santé. Editions Grasset-Mollat, 1998.
4. HÖLDERLIN Friedrich Oeuvres complètes. Editions  Gallimard, La Pléiade,1967.