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"Les maux de l'esprit et
les mots de l'âme"
Rubrique linguistique et étymologique animée par le Dr Emmanuel Dumas
Primbault
Un florilège de termes tirés de la
sémiologie psychiatrique, de la littérature religieuse et profane pour
décrire avec finesse (et humour, aussi) la grande variété de(s) (nos)
états psychiques.
ABALOURDI
BIZARRE
HYPOCONDRIAQUE
PRETERITION
ET COMPAGNIE
PRIMESAUTIER
ABALOURDI,
part. passé
Il est certains mots oubliés qui devraient reprendre du
service. Abalourdi
est ce ceux-là. Il y a belle lurette, La Curne de Sainte-Palaye
dans son ouvrage de l'ancienne langue française (jusqu'au XVIéme
siècle) précisait :
"
Ce mot subsiste encore avec une légère altération dans notre mot
Abasourdir. " indiquant là qu'il était déjà
tombé en désuétude.
Vers
1690, La Furetière considérait lui aussi son infinitif comme
disparu :
ABALOURDIR.
Vieux mot, & hors d'usage qui signifioit autrefois, Abrutir,
rendre stupide. Estoudir
Estourdir
? suivons la piste (de La Furetière) :
ESTOURDIR
: Causer une émotion ou déreglement dans le cerveau, ou
dans les sens, qui les empesche de faire bien leurs fonctions.
N'est
ce pas là une lumineuse définition de la sidération anxieuse
voire de la stupeur anxieuse.
de
La Furetière ajoute :
ESTOURDIR,
se dit figurément en choses morales, des accidents qui troublent,
qui surprennent nostre raison.
Le
" traumatisme psychique " décrit par de la Furetière
plus de deux siècles avant que le monde psychiatrique ne le définisse
!
Le
Dictionnaire de l'Académie en donne une définition plus succincte
et plus "somatique" :

A
ne pas confondre avec :
ESTOURBIR
v. tr. XIXe siècle. Assommer ; tuer. Fig. Frapper de stupeur. Il
est encore tout estourbi par la nouvelle.
Très
proche d'abasourdir. Le nouveau dictionnaire de l'Académie nous
l'indique :
ABASOURDIR
v. tr. XVIIe siècle. Dérivé de basourdir, " tuer "
(…)Fig
Frapper de stupeur, consterner. Accabler
Et
le Littré :
"
Abasourdi (…) par un malheur imprévu ".
Boris
Cyrulnik évoque dans son ouvrage " Un
merveilleux malheur " les capacités de résilience
de certains enfants face au destin. Tous n'ont sans doute pas cette
chance… et peuvent en rester
accablés et la raison troublée (estourdis), ceci pouvant
mimer un dérèglement dans le cerveau.
Abasourdi
: Nous voilà revenus à abalourdir…
Littré
au XVIIIIème
ressuscite " Abalourdir " et son participe passé
avec une précision surprenante :
ABALOURDI,
" Enfant abalourdi par de mauvais traitements "
Traducteur
d'Hippocrate, observateur attentif des balbutiements de la médecine
moderne, avait-il lu les travaux de médecine légale d'Ambroise
TARDIEU sur "Sévices
et mauvais traitement exercés sur les enfants"
publiés en 1860 ? En tout état de cause il a introduit la clinique
de la psychiatrie de l'enfant et de la maltraitance dans le
vocabulaire. Pourtant la société française mettra plus d'un siècle
(1970) à délier les médecins du secret professionnel et les
autoriser à signaler les enfants maltraités à la justice.
A
une époque où la médecine était exercée par des barbiers qui n'étaient
pas encore doctes (voire de simples aliborons) le langage populaire
avait pourtant inscrit la réalité des effets de la maltraitance
dans la langue. Au XXIème siècle notre médecine contemporaine,
dite scientifique, exercée par des docteurs, mais aussi la justice
et les services sociaux ignorent encore parfois les ravages pour
l'enfant d'être mal aimé ou délaissé. La maltraitance psychique,
le plus souvent ignorée, n'est parfois découverte que parce
qu'elle se trouve compliquée des stigmates de la maltraitance
physique. Encore aujourd'hui il faudra parfois faire le constat de
tableaux gravissimes tels que le syndrome du bébé secoué ou
d'authentique syndrome de Silverman pour que les services de santé,
les services sociaux et la justice se mobilisent. La maltraitance
physique n'est jamais qu'une complication de la maltraitance
psychique. Mais la souffrance psychique du délaissement affectif et
la maltraitance psychique sans stigmates physiques sont rarement
reconnues. Trop de nourrissons et de petits enfants présentant un
retard global du développement affectif et cognitif lié à de
graves carences éducatives et affectives ne sont ni dépistés ni
pris en charge à temps, car cela ne se voit pas aussi crûment que
la maltraitance physique, plus objectivable.
Puissent
les médecins eux-mêmes ne pas rester des aliborons abalourdis,
ignorants, aveugles, sourds et muets dans leur rencontre avec ces
enfants exposés à tous les dangers ! Et paraphrasant Littré, il
reste très actuel d'écrire : "
L'enfant
abasourdi de trop de silence ou de méchantes paroles, estourdi de
cris ou de coups,
s'il ne finit pas tout simplement estourbi risque fort de
garder pour toujours son esprit abalourdi ".
Les
Voleurs et l'Ane
Pour
un Ane enlevé deux Voleurs se battaient :
L'un voulait le garder ; l'autre le voulait vendre.
Tandis que coups de poing trottaient,
Et que nos champions songeaient à se défendre,
Arrive un troisième larron
Qui saisit maître Aliboron.
L'Âne, c'est quelquefois une
pauvre province.
Les voleurs sont tel ou tel prince,
Comme le Transylvain, le Turc, et le Hongrois.
Au lieu de deux, j'en ai rencontré trois :
Il est assez de cette marchandise.
De nul d'eux n'est souvent la Province conquise :
Un quart Voleur survient, qui les accorde net
En se saisissant du Baudet.
Jean
de La Fontaine
Au
temps de Jean de la Fontaine les barbiers qui exerçaient la médecine
étaient parfois traités d'aliboron, personne ignorante et sotte.
Une des hypothèses concernant ce sobriquet est que ces médecins
n'avaient d'autre médication que l'hellébore.

helleborus niger photo DR
PRETERITION
ET COMPAGNIE
Vers la fin de l’ère
proto-neuro-scientifique, lors des « disputes » ( jésuitiques ?,
homériques ?) portant sur la « structure » ( névrose,
psychose et perversion), un énoncé flagrant de « parler par prétérition »
était un argument fort pour classer l’énonciateur parmi les névrosés.
Pour
le Dictionnaire de Furetière
(1688)
Parler par prétérition est aussi une figure de Rhétorique, quand on fait semblant de ne
vouloir pas parler d'une chose dont on fait pourtant une mention
sommaire : ce qui se dit soit en bien, soit en mal. Je ne diray point
qu'il est vaillant, qu'il est docte, &c. Les plus adroites loüanges
se font par la prétérition
.
Du Marsais, dans son
Traité des Tropes (1730) où on l’y attendrait n’en fait pas
mention, mais Jean Paulhan traite la question dans son Traité des
Figures (1953) (édition en un seul volume pour les deux traités aux ed
Le Nouveau Commerce 1977), il
le classe dans les figures de raison sous types des figures de pensée :
Par
la prétérition ( ou l’omission) l’auteur affirme –
ou tout au moins donne clairement à entendre- cela même qu’il prétend
passer sous silence. L’exemple tiré de Racine est célèbre :
Je ne vous dirai point combien
j’ai résisté ;
Croyez-en cet amour par vous-même attesté
L’occurrence
de Racine est superbe mais nous ne l’avons pas retrouvée, merci à
celle ou celui qui nous instruira….
Un site web
improbable et fort mal navigable propose même la contre-prétérition avec
une occurrence savoureuse : « combien de fois devrai-je vous dire
que mes pieds ne sont pas des boulevards ? »
Ainsi
donc, parlant par prétérition celui-là dit le contraire de ce qu’il
dit vouloir dire : bref, s’il peut le faire ( et il peut le
faire, nous en sommes d’ac
), c’est qu’il est des nôtres, c’est un névrosé. « cette
fille est trop vilaine il me la faut » chante le Don Juan de
Brassens ….
Plus
convaincante peut être encore cette variété de prétérition qui
consiste dans le discours à attribuer (perfidement ?) à autrui ce
que l’on pense : « je
ne voudrais pas que tu croies que je n’aime pas ton nœud papillon
mais il fait psychiatre » ou « tu vas dire que j’exagère
mais ton diagnostic est foireux » etc
Plus fort que le (A) « je
le dis en disant que je ne le dirai pas » est le (B) « je
sais la douleur que mon propos va te causer et je prétexte de t’en
avertir pour le dire quand même ( sans ambages ?) ».
Assurément, à ce point l’on peut discuter la projection (projektion
en pré neuro-scientifique) qui est un mécanisme plutôt psychotique
(lettre de Freud à Fliess du 24 janvier 1895) pour l’écarter sans aménité
tant la proposition B ressort plus du charivari névrotique que du maniérisme.
Le praeteriste se sait auteur du contenu de l’énoncé tout en voulant
ruser quand le projektionniste l’ignore comme sien.
Pour
finir que penser d’un « je vous le dis sans aménités
»,
suggérant la douceur, quand un « regard peu amène » témoigne du contraire ? S’agit-il là
d’un avatar de la prétérition, d’une technique plus proche de la
litote, où le mot lui même dit la chose et son contraire ?
Le Petit Robert 2001
nous aiguille :
amène
adj.
• XIIIe-XVIe « agréable »; lat.
amœnus (rapproché par
Varon de amare)
Littér. Agréable, avenant. « Toujours amène et bienveillant envers les hommes de la plus
humble condition » (France).
Un ton, des propos amènes.
Contr. Acerbe, désagréable.
aménité
n. f.
• XIVe; lat. amœnitas
1 Vx Agrément
(d'un lieu). « L'aménité
des rivages » (Chateaubriand).
2 (1740)
Amabilité pleine de charme.. Sa
supériorité « que sait tempérer l'aménité la plus exquise »
(A. Gide). Traiter
qqn sans aménité, durement.
(mil. XIXe) Au plur. Iron. Paroles blessantes
ou injurieuses. Elles se sont dit des aménités.
Ainsi les deux mots ont la même racine, leur sens vers l’agréable
est le même, mais (il peut le faire…) apparaît au milieu du XIXème
un pluriel ironique…
Le Robert historique ( 1992 dir A Rey) complète un peu :
Aménité
n.f. se dit de
l’agrément d’un lieu, sens disparu au XVIIème, puis (Rabelais)
d’une douceur gracieuse (des propos, du comportement, du style) ;
d’où des aménités,
surtout employé par antiphrase (1840) pour « critique, paroles
hargneuses »
Ainsi
« je vous le dis sans aménités » impose qu’elles soient
toujours plusieurs ( les aménités ) et reste une possible
« entrée en prétérition », mais l’écart sémantique
avec « peu amène » ressort lui de l’antiphrase,
et c’est une autre histoire…
Il en est (amour délice et orgue) qui changent de genre en prenant le
pluriel, aménité retourne son sens (depuis le XIXème seulement) en
passant au pluriel, en est-il d’autres…
Réponse
d'un lecteur :
Racine a écrit ces vers
que vous recherchiez dans "Iphigénie".
Il est à noter que cette prétérition concerne le sacrifice prochain
et programmé de sa propre fille.
Agamemnon
Ma fille, il est trop vrai. J'ignore
pour quel crime
La colère des dieux demande une victime :
Mais ils vous ont nommée. Un oracle cruel
Veut qu'ici votre sang coule sur un autel.
Pour défendre vos jours de leurs lois meurtrières,
Mon amour n'avait pas attendu vos prières.
Je ne vous dirai point combien j'ai résisté :
Croyez-en cet amour par vous-même attesté.
Cette nuit-même encore, on a pu vous le dire,
J'avais révoqué l'ordre où l'on me fit souscrire :
Sur l'intérêt des Grecs vous l'aviez emporté.
Je vous sacrifiais mon rang, ma sûreté.
Arcas allait du camp vous défendre l'entrée :
Les dieux n'ont pas voulu qu'il vous ait rencontrée.
Ils ont trompé les soins d'un père infortuné
Qui protégeait en vain ce qu'ils ont condamné.
Jean RACINE, Iphigénie,
Acte IV, scène 4 (vers 1169-1236)
L’hypomane
(et à fortiori le maniaque) dit ce qu’il pense quand il le pense sans
anticipation des effets de son dire, au sens propre il est
primesautier
Littré :
Qui prend sa résolution du premier mouvement, sans délibération.
Des esprits prime-sautiers.
Robert historique : impulsion, action de parler, d’agir dans le
premier mouvement
Il
parle du premier bond, du premier saut, et le sens moderne tire vers
l’idée de spontanéité, il s’engage, sa volonté est libre, pour
aller dans le sens de l’étymon spons, spontis.
Ainsi
le maniaque s’oppose à toute contention mentale, il est capricieux (cf
plus haut) voire capricant comme
Mme Victurnien
-
Souvenons nous, Mme
Victurnien « gardienne et portière de la vertu de tout le
monde » « voix chevrotante, esprit capricant » « elle
était sèche, rêche, revêche, pointue, épineuse, presque venimeuse »,
n’hésitera pas à faire le voyage à Montfermeil pour voir Cosette et
confondre Fantine…, méchante Mme Victurnien,
et sans avoir l’excuse de l ‘accès maniaque
L’hypomane
peut être léger, le
contraire de grave, enjoué,
le contraire de sérieux, ou
même badin c’est à dire l’inverse de prude. En quoi la gravité, le
sérieux et la pruderie exigent une vraie contention de la pensée
Guizot :
On est grave par sagesse et par maturité d'esprit ; on est
sérieux par humeur et par tempérament ; on est prude par goût et
par affectation. L'habitude
de traiter les affaires nous donne de la gravité. Les réflexions d'une
morale sévère rendent sérieux. Le désir de passer pour grave fait
qu'on devient prude.
En effet l’hypomane,
hyper-syntone, a d’abord l’esprit
badin qui fait qu'on joue sur les choses, quelquefois avec de la
raison, mais en l'égayant, puis l’humeur
folâtre, celle qui fait qu'on agit sans raison, mais avec assez
d'agrément pour se passer de raison,
il perd son espièglerie qui exige contrôle et contention, pour, maniaque,
devenir jovial,
insolent, capricant et méchant dans l’excès. Plus de syntonie là, même
hyper, plus l’ombre d’une harmonie :
l’aliénation.
« Quel
médecin n’a pas vu de ces hommes qui, au déclin de leur âge, éprouvent
un sentiment habituel d’inquiétude et de malaise, de ces vieillards
moroses, hypocondriaques, injustes envers leur siècle et leurs
contemporains, secrètement révoltés que l’air soit pur, que les
fleurs aient des parfums, que la jeunesse ait encore des sentiments
d’amour. »
Dr
Réveillé-Parise le 17 mai 1830 devant l’académie des sciences à
propos du tempérament mélancolique.
Si le terme d’hypocondriaque est simple et facile
d’emploi au XIXème, désignant de façon attestée dès avant
1572(d’après A Rey) un
« état d'anxiété habituelle et excessive à propos de sa santé
(autrefois supposée avoir son origine dans les organes abdominaux appelés
hypocondres) » son étymologie
( douleur des hypocondres donc) paraît
un peu pauvre et palote à
coté du vénérable cacochyme « d'une constitution
débile, d'une santé déficiente »
dont l’origine, du grec médical kakokhumos, de kakos « mauvais »
et khumos « humeur, suc », n’est pas sans évoquer celle
de mélancolie.
« Je ne me chargerais
pas d'un enfant maladif et cacochyme »
disait J. J Rousseau dans l’Emile (I)
Bien sur, au long de cette
série qui comprend aussi :
égrotant
« . Souffrant, maladif »
maladif « Qui est de constitution
fragile, souvent malade ou sujet à l'être »
infirme « Indisposition
ou maladie habituelle, il signifie aussi, faiblesse, fragilité pour le
bien, défaut, imperfection » dict de l’académie 1762
patraque dont l’étymologie
provençale patraco
« monnaie usée, dépréciée »
amuse au passage
souffreteux
« En Normandie, on dit : faire sa souffrette d'une chose,
prendre son parti de l'avoir perdue ; c'est aussi le sens propre de
souffreteux. Soufraite ne vient point de souffrir, il vient du latin
fictif suffractus, brisé, de sub, sous, et frangere, briser ; cela
est surabondamment prouvé par la forme provençale sufracha, sofracha. »
Littré 1872
valétudinaire
et peut être même sujet au
coup de calcaire
l’hypocondriaque occupe la place de celui dont la plainte est
la plus imaginaire, le cacochyme la place de celui dont le corps est le
plus méprisable.
Chacun
classera à sa guise les autres sur cet axe et pour cela peut s’aider
encore (mais ici avec moins de bonheur qu’avec bourru quinteux
bizarre…) du Guizot (dict des synonymes 1822) :
« Ainsi
le valétudinaire est d'une santé chancelante : le maladif est sujet à
être malade : l'infirme est affligé de quelque dérangement d'organes
: le cacochyme est plein de mauvaises humeurs.
Les femmes, par la constitution propre de leur sexe, sont
naturellement plus valétudinaires que les hommes. Les gens malsains
sont nécessairement maladifs. Les vieillards sont infirmes par le dépérissement
naturel de leurs organes. Il y a beaucoup d'enfants cacochymes par le
vice de leur origine ou de leur nourriture. »
Un mot tout de même de valétudinaire dont le Littré nous donne
la définition suivante :
Une
personne valétudinaire est une personne dont la santé est ou
chancelante, ou délicate, ou souvent altérée par différentes
maladies qui lui arrivent par intervalles ; elle est d'une santé
chancelante. Une personne maladive est sujette à être souvent malade,
non par la délicatesse de sa constitution, mais par quelque affection
particulière, par un principe morbifique dont elle est affectée.
Son
étymologie a ceci de
particulier que dérivant du latin valere « être bien portant »
le mot « a pris par litote, la valeur de « mauvais état de
santé » » ( Dict hist de la langue Fr
ed Le Robert 1992) Il aurait dû, sans cet effet de litote,
signifier : qui est toujours en bonne santé…
Pour compléter donc, lors d’une conversation avec le père abbé
d’une communauté dont je voyais un des moines « pour des soins
nécessités par son état » évoquant avec ce supérieur l’état
du malade nous convenions que l’onanisme pratiqué par celui-ci n’était
rien à coté d’autres travers beaucoup plus symptomatiques (et problématiques
pour la communauté) : « c’est un habitudinaire »
me dit-il, soulignant l’idée que le préfixe habitus (comme celui de
vale) signalait un état d’être, une disposition naturelle, souvent
une faute il en convenait, mais qui ne méritait pas que l’on s’y
attarde plus que cela ou que
l’on perde son temps à vouloir en corriger la nature.
Pour valétudinaire la litote,
pour habitudinaire l’euphémisme ?
Le mot ne figure ni dans le Robert
ni dans le Larousse, ni dans le Littré 1872 ni dans le dictionnaire de
l’Académie 1762 ni dans le Guizot 1822.
Enfin tout de même, une référence,
dans l’entrée habitude du Dictionnaire
Historique de la Langue Française aux éditions Le Robert 1992 :
Habitudinaire :
n.m., dérivé savant, a été employé comme adjectif au sens de
« qui a l’habitude de qqch., qui y est habile »(1847),
« qui est passé en habitude » (1611). Le mot est repris
comme nom masculin en théologie (av 1866) pour désigner celui qui
commet habituellement le même péché.
Laissons pour finir la parole au Dr Réveillé-Parise devant l’Académie
des sciences :
«
Roulant sans cesse au fond de leur âme le sombre et inexplicable problème
de la destinée humaine, si le délire ne s’arrête point ils sont
bientôt saisis par le taedium vitæ, et le suicide, ce point décisif
et culminant de la vie d’un sage, comme le disait un de ces infortunés,
met souvent fin à leur tourment. »
tædium vitæ
[tedjCmvite] n. m. •
1767; loc. lat. « dégoût de la vie »
Pathol.
État permanent de lassitude, de manque d'appétence, sans cause
observable, chez des sujets lucides menant une vie sociale et
professionnelle assez normale.
"BIZARRE,
vous avez dit bizarre" (in « Drôle
de drame » film de M Carné)
La bizarrerie tient une place centrale dans la sémiologie
classique de la schizophrénie et la CIM10 ne déroge pas puisque
l’adjectif n’y est utilisé (sauf erreur, cette vérification sur édition
papier étant pour le moins fastidieuse…)
que dans les sections schizophrénie (F20) et
trouble schizotypique (F21)
à l’exclusion de toute autre y compris la
personnalité schizoïde (F60.1)
Bien
avant la CIM10 ,
le Dictionnaire de Furetière
(1688) :
BIZARRE,
ou Bigearre. adj. masc. & fem. Fantasque, qui a des moeurs inégales,
des opinions extraordinaires & particulieres. C'est un homme bigearre
avec lequel on ne peut vivre. Il a toûjours des habits, des ornements bizarres.
L’individu bizarre est celui qui « s’écarte
de l’ordre commun » nous dit le Robert 2002.
L’origine du mot d’après A Rey (Robert historique 1992) tire
vers l’idée de colère –bizza en italien est la colère ou
l’emportement (récusant explicitement l’étymologie de Littré (1872)
qui le fait dériver de l’espagnol signifiant
brave)- en croisant au passage l’étymologie de bigarré
(composé d’éléments variés et disparates).
Il
admet plusieurs synonymes d’après Guizot (dictionnaire des synonymes
1822) qui se rassemblent autour de l’idée de « goût particulier
qui s’écarte mal à propos de celui des autres » mais qui s’en
écarte par un motif à chaque fois différent, jugeons plutôt :
ainsi,
s'écarter du goût
par excès de délicatesse, ou une recherche du mieux, faite hors
de raison, c'est être fantasque
par
inconstance ou changement subit de goût, c'est être capricieux
par
une certaine révolution d'humeur ou de façon de penser, c'est être quinteux
par
grossièreté de mœurs et défaut d'éducation, c'est être bourru
par
une singularité d'objet non convenable, c'est être bizarre
et Guizot ajoute, avec génie nous semble-t’il :
le
fantasque dit proprement quelque chose de difficile ; le capricieux,
quelque chose d'arbitraire ; le quinteux, quelque chose de périodique ;
le bourru quelque chose de maussade ; et le bizarre,
quelque chose d'extraordinaire.
Ainsi donc suivrons nous la sémiologie pour trouver que le notre
patient atteint de schizophrénie s’écarte du goût par une singularité
d’objet non convenable, ceci pour nous dire quelque chose
d’extraordinaire, et essaierons avec lui de vivre mieux qu’au XVIIème.
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