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SERVICE de PSYCHIATRIE et de PSYCHOLOGIE MEDICALE

CHU ANGERS

 


Avertissement : toute référence à cet article doit faire mention de son auteur et du site de la "Psychiatrie Angevine"
Copyright SERVICE DE PSYCHIATRIE ET DE PSYCHOLOGIE MEDICALE CHU ANGERS 2003

 


J.B. GARRÉ, P. DUVERGER, B. GOHIER, H. PETTENATI,

K. RANNOU-DUBAS

              

INFORMATION  DU  PATIENT  ET OBSERVANCE

  DANS  LES  PATHOLOGIES  PSYCHOTIQUES


                   "Je suis content de n'estre pas malade; mais, si je le suis, je veux sçavoir que je le suis; et, si on me cauterise ou incise, je le veux sentir."

Montaigne

Essais (II, XII)

J.B. GARRÉ              Professeur des Universités-Praticien Hospitalier, Chef du service de Psychiatrie et de Psychologie Médicale –

                          C.H.U. Angers - 49033 Angers cedex.

 

Ph. DUVERGER              Praticien Hospitalier – Unité de Pédopsychiatrie

                          Service de Psychiatrie et de Psychologie Médicale –

                                        C.H.U. Angers - 49033 Angers cedex.

 

B. GOHIER                      Assistant-Chef de Clinique

                                        Service de Psychiatrie et de Psychologie Médicale –

                                        C.H.U. Angers - 49033 Angers cedex.

 

H. PETTENATI                Assistant-Chef de Clinique

                                        Service de Psychiatrie et de Psychologie Médicale –

                                        C.H.U. Angers - 49033 Angers cedex.

 

K. RANNOU-DUBAS       Assistant des Hôpitaux

                                           Service de Psychiatrie et de Psychologie Médicale –

                                         C.H.U. Angers - 49033 Angers cedex.

 


                   Examiner en clinicien le sujet d'actualité que constituent les rapports possibles entre information et observance dans les pathologies psychotiques présuppose de restituer au préalable un moyen terme ou un niveau intermédiaire: celui du consentement, qui implique à son tour toute la problématique du jugement et de ses troubles, suivant le schéma ci-dessous.

INFORMATION

                 ê

CONSENTEMENT

                 ê

OBSERVANCE

 

 

                     Pas d’observance en effet sans consentement, ni d’ailleurs de consentement sans délivrance d’une information idéalement « loyale, claire et appropriée », selon les termes consacrés du Code de déontologie médicale. Bien plus, si l’on considère avec Cramer (8) que la moitié des informations orales données au patient lors d’une consultation est oubliée lorsque le patient a quitté le cabinet, l’information pour être retenue et devenir opératoire ne saurait se concevoir que renouvelée, sinon continue, en tous les cas non ponctuelle. D’une manière analogue, une observance adéquate viendrait signer en quelque sorte un consentement obtenu, mais aussi renouvelé et également maintenu.

 

                 L’objectif général de l’information du patient et de son entourage serait de viser à faire du patient un partenaire désormais actif dans des procédures nouvelles de co-gestion, de co-responsabilité, voire de co-décision, vis-à-vis de la maladie et de ses traitements : relecture de la prescription comme d’une affaire dont traitent deux parties, et de l’ordonnance comme d’une négociation. Le prescripteur moderne cherche à conclure et à maintenir avec son patient une nouvelle alliance dans des formes transactionnelles inédites. Et la biomédecine porte un souci nouveau et attentif aux compétences propres du patient, dont sa compétence à un dialogue moins dissymétrique, mais aussi au refus, ainsi qu’à son insight sous traitement et à son expertise clinique personnelle de l’efficacité et des effets indésirables des traitements, donc de la balance efficacité / risque.

 


 

                 Actualité du thème : sans parler des Etats-Unis, où l’information, en partie sous l’influence de groupes d’usagers de la santé, est devenue une obligation réglementaire et où le patient a acquis depuis déjà quelques années le droit à une information exhaustive, incluant l’accès direct au dossier médical, l’exemple plus proche d’un pays européen comme la Hollande est évocateur. Depuis 1996, un document de consensus relatif aux conditions minimales du traitement de la schizophrénie (10) conseille d’informer clairement, de façon verbale et écrite, le patient sur sa maladie, sur ses traitements, sur les résultats à en attendre et sur les effets secondaires : «  La schizophrénie est une maladie grave du cerveau, qui présente dans la plupart des cas une évolution chronique et plus ou moins invalidante. La survenue d’épisodes psychotiques caractérise l’évolution de la maladie. Survenant de façon précoce, généralement vers l'âge de vingt ans, elle altère gravement la qualité de vie du patient. « En 1997, Rigo Van Meer estime qu’aux Pays-Bas, dans environ 80 % des cas, les patients connaissent leur diagnostic, sur leur demande dans 20 % des cas, et donné spontanément par leur psychiatre dans les autres cas. Ils seraient dans l’ensemble plutôt satisfaits et davantage motivés, sans augmentation de la mortalité par suicide (10).

 

                 En France, un relevé cursif sur la dernière décennie nous offre au moins cinq signes ou témoins de cette évolution remarquable et de ce progressif changement de culture qui justifient de moins en moins la réserve silencieuse ou l’évasivité face aux questions posées par le patient ou par son entourage sur : la nomination diagnostique (« Qu’est-ce que j’ai ? », « Qu’est-ce qu’il a ? »), l’étiologie et la pathogénie des troubles (« Pourquoi est-il comme ça ? »), leur pronostic évolutif et leur thérapeutique («Pourquoi dois-je prendre des médicaments tout le temps ? », « Est-ce qu’il va guérir?»).

 

                 Un premier signe réside dans la publication et la diffusion d’ouvrages d’information destinés au grand public, dont le premier en France a sans doute été, en 1990, celui d’une journaliste spécialisée dans les problèmes de santé, Catherine Tobin: La schizophrénie au quotidien (28).

 

                 Deuxième indice : la traduction à partir des années 1990 et les débuts d’utilisation en France, après validation dans d’autres pays francophones, des modules de Liberman (21) exposant différentes techniques diagnostiques, thérapeutiques et rééducatives qui visent à «  aider les patients psychotiques chroniques et leur famille à retrouver une qualité de vie optimale » . Dans cette perspective, plusieurs équipes françaises ont mis en œuvre dans leur service le module d’éducation au traitement neuroleptique dans le but d’accroître chez leurs patients compétence et adhésion.

 

                   Un troisième signe fort peut être lu dans les recommandations émises en janvier 1994 par la Conférence de consensus sur les stratégies thérapeutiques à long terme dans les psychoses schizophréniques (6) : l’équipe soignante doit non seulement instaurer une relation de confiance durable et entendre les plaintes du patient, mais aussi informer le patient et ses proches «  sur la maladie, ses symptômes, la valeur de leur réduction éventuellement incomplète ou les signes prémonitoires de rechute, le nom des médicaments, l’effet thérapeutique attendu et les éventuels effets indésirables ». De plus, un lien étroit est reconnu entre information et observance, puisque l’information délivrée sous une forme « simple, complète et compréhensible » réalise « le gage d’une meilleure observance du traitement ».

 

                   En mars 2000, l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé a amplifié ce programme sous forme de Recommandations relatives à l’information des patients (14). Si ce document ne porte pas mention spécifique de la psychiatrie, il souligne, quelle que soit la pathologie, la nécessité d’une information sur l’état du patient et sa maladie, sur ses traitements et leurs effets secondaires, qui se doit d’être « validée, hiérarchisée, intelligible, synthétique » et de préciser les risques graves des traitements, « y compris exceptionnels, c’est-à-dire ceux qui mettent en jeu le pronostic vital ou altèrent une fonction vitale.»

 

                   Tout récemment, deux études françaises ont tenté de répondre à une des recommandations de la Conférence de consensus de 1994, qui était de « mener des recherches comparatives concernant l’impact des différents modes d’information sur l’observance et l’alliance thérapeutique avec les patients souffrant de schizophrénie. » L’enquête menée en 1998  par Baylé et coll.(4) auprès d’environ 13000 psychiatres français sur l’annonce du diagnostic de schizophrénie trouve un tiers de patients informés de leur pathologie, mais seul un quart d’entre ces derniers informé par le praticien lui-même. Les auteurs établissent une comparaison avec l’évolution de l’information en cancérologie : en 1976, un cancéreux sur cinq connaissait son diagnostic ; en 1993, le taux s’élève à 4 malades sur 5. Ils relèvent le terme diagnostique alternatif le plus couramment ( une fois sur deux ) employé : psychose. A leur tour, Ferreri et coll. (12) se sont posé la question : «  De quelles informations les patients souffrant de schizophrénie disposent-ils sur leur maladie et leur traitement ? », en interrogeant un échantillon de 336 patients et leur médecin . Si 39 % des médecins ont dit à leur patient qu’il était schizophrène et 65 % ont évoqué le diagnostic en d’autres termes (psychose, état psychotique, délire…),  plus de 60 % des patients interrogés ont déclaré connaître le nom de leur maladie, mais seulement 58 % d’entre eux ont cité schizophrénie ou psychose.

 


 

                   Les études sur l’observance thérapeutique montrent une remarquable concordance quand elles essayent de mesurer l’ampleur du phénomène, défini classiquement (11) comme le degré de coïncidence entre le comportement d'un patient et la prescription médicale, qu'il s'agisse de médicaments, de recommandations relatives au mode de vie ou d'un suivi médical, psychothérapique ou institutionnel. D’une manière très générale et quelle que soit la pathologie envisagée, le pourcentage de non observants ou de mauvais observants est de 30% à 60% (20). Dans le cas particulier du SIDA, 50% des échecs thérapeutiques sont imputables à une mauvaise compliance.

 

                   La non-observance peut être totale ou partielle, continue ou intermittente, dissimulée au clinicien ou reconnue. Dans le cas particulier des neuroleptiques, il n'est pas exceptionnel de rencontrer des observances "dissociées": ponctuel aux rendez-vous de consultations, le patient peut refuser toute chimiothérapie ou encore n'accepter que les correcteurs. Les conséquences dommageables sont connues: altération de la relation médecin-malade, mise en péril de l'alliance thérapeutique, erreurs d'interprétation clinique, risque de rechutes et/ou de réhospitalisations, chronicisation du trouble, coût économique (11, 20, 24, 27).

 

                   S’il n’y a pas de lien démontré entre qualité de l’observance et gravité de la maladie, les taux les plus élevés de non-observance sont rapportés dans le cadre des traitements préventifs, prophylactiques ou suspensifs de pathologies chroniques, comme c’est le cas des chimiothérapies neuroleptiques vis-à-vis des psychoses chroniques. Après revue de la littérature, Haynes et coll. (13) estiment que la seule association prouvée entre non-observance et nature de la pathologie traitée concerne la maladie schizophrénique, spécialement dans ses formes paranoïdes.

 

                   Pour une mauvaise compliance de 30% à 70% des patients dans le cas des anti-dépresseurs, et de 20% à 40% dans le cas de la lithiothérapie, approximativement un patient psychotique sur deux prendrait mal ou ne prendrait pas du tout son traitement neuroleptique, sans en faire part à son thérapeute (5, 15). La Conférence de consensus de 1994 rapporte des chiffres moindres, de l’ordre de 30%, mais dans le cas des schizophrénies ambulatoires. Le taux de 50% de non-compliance se retrouve habituellement dans toutes les pathologies chroniques et doit être rapproché de la notion classique de rechute, liée une fois sur deux à l’interruption par le patient lui-même de son traitement neuroleptique entre deux hospitalisations.

 

                   Les méthodes de mesure de l'observance neuroleptique ont fait l'objet d'une revue documentée par Blondiaux et coll. (5). Les méthodes directes par  dosages biologiques (sang, urines) ou recours à des marqueurs intégrés soulèvent trop de difficultés pour pouvoir être mises à profit en routine clinique. Les méthodes indirectes procèdent par questionnaires ou enquêtes auprès du patient et de ses proches; par vérification de l'assiduité aux visites médicales; par observation de l'effet thérapeutique ou d'éventuels effets secondaires; par visualisation de l'armoire à pharmacie lors de visites à domicile; par contrôle des renouvellements d'ordonnance, soulignant le rôle du pharmacien; et parfois dans le cadre d'essais cliniques par décompte des unités galéniques non consommées, voire par systèmes électroniques de piluliers enregistreurs. En fait, aucune méthode n'est entièrement efficace, ce qui rend compte de la grande disparité des résultats notés dans les publications, et l'interrogatoire régulier du patient dans le cadre d'une relation de confiance paraît encore la technique la plus simple et la plus performante.

 


                   Parmi les facteurs promoteurs de non-compliance dans les états psychotiques de type schizophrénique, l’analyse permet d’ isoler trois groupes , suivant qu’ils paraissent liés au traitement neuroleptique, au patient et à la nature de sa pathologie, et enfin au médecin prescripteur.

 

 

                   1/ Facteurs liés au traitement

                  

                   La représentation conventionnelle et collective des chimiothérapies neuroleptiques stigmatise largement leurs effets secondaires, qu’il s’agisse de la sédation ou des effets secondaires neurologiques : l’imaginaire de la camisole chimique affleure immédiatement.

 

                   En outre, la durée de la prescription est ici longue, sinon indéfinie et il ne paraît pas possible de préconiser une telle chimiothérapie prolongée et contraignante sans la légitimer auprès du patient, surtout s’il s’agit de sujets jeunes. La qualité de l’adhésion se problématisant avec la durée, la place des produits à action prolongée doit être mieux définie.

 

                   Le prescripteur devrait également réévaluer régulièrement sa prescription, la reconsidérer pour mieux l’aménager, remettre en cause sa complexité éventuelle, spécialement dans le cas des polychimiothérapies où le nombre de produits et de prises quotidiennes ne laisse pas d'influer sur la qualité de la compliance.

 

                   Les effets secondaires méritent une information loyale au moins sur les plus fréquents ou les plus attendus, comme l’hypovigilance, la sédation, le ralentissement, la prise pondérale, les éventuels troubles anti-cholinergiques, mais aussi sur les plus surprenants ou les plus susceptibles d’angoisser le patient, comme les dystonies aiguës et les effets extra-pyramidaux. Si aux Etats-Unis, l’information tend à l’exhaustivité et va jusqu’à faire évoquer les incidents et accidents rares, incluant syndrome malin et dyskinésies tardives, et si jusqu’à présent nous nous étions plutôt tenus en Europe à une modération prudente dans l’évocation des risques graves et peu fréquents, acceptant tout au plus l’évocation des signes anticipatoires, les recommandations récentes de l’ANAES devraient théoriquement nous inciter à parler à nos patients des risques graves,  y compris exceptionnels. Il est vrai qu’au point de vue des effets indésirables, la mise sur le marché des antipsychotiques apporte au patient un gain cliniquement sensible dans l’acceptabilité, et donc dans la compliance, induisant moins de gêne motrice et moins d’inconfort cognitif.

 

                   Les études accordent désormais une attention nouvelle à la qualité de vie du patient sous neuroleptiques, à son vécu, à son ressenti et à son insight (1, 2, 22). L'étude française multicentrique menée par Vidon et coll. (32) en 1996 auprès d'une cohorte de 262 schizophrènes chroniques, tous neuroleptisés dont 43 % sous neuroleptiques à action prolongée, retrouve 49 % de patients plutôt satisfaits et 26 % d'un avis plus réservé. L'étude pionnière en 1993 de Verdoux et coll. (31) choisit de documenter "le point de vue du consommateur" de neuroleptiques à forme retard chez 36 schizophrènes: un patient sur deux préfère conserver la forme injectable et la majorité juge utile la poursuite de leur traitement, bien que très peu en connaissent la finalité et les motifs.

 

                   Nous devons enfin, comme le soulignent à très juste titre Vanelle et coll. (30), tenir compte des données fournies par les firmes pharmaceutiques avec les produits prescrits. Les notices, comme celles du Risperdal* ou du Zyprexa*,  évoquent clairement la notion de psychose et détaillent les risques de syndrome malin ou de dyskinésies tardives.

 

                   Parmi les informations qu'il paraîtrait souhaitable de délivrer, le prescripteur insistera sur la longue durée du traitement, sur son action symptomatique et suspensive, sur les risques liés à un arrêt intempestif et non concerté, mais aussi sur les bénéfices attendus et le vraisemblable gain de chance représenté par un traitement précoce. Ce type d'informations augmente-t-il vraiment la compliance? Aucune étude à notre connaissance ne le démontre formellement, mais il est hautement probable qu'une information suffisamment étendue, délivrée et renouvelée dans le cadre d'un lien de confiance, renforce chez le patient ses capacités de contrôle et de gestion de la maladie, donc son autonomie.

 

                  2/ Facteurs liés au malade et à sa pathologie

 

                   Au premier rang et sur un mode symétrique de la perception négative des traitements neuroleptiques, la représentation commune de la schizophrénie stigmatise largement une maladie vécue comme incurable, dangereuse et d'évolution toujours péjorative. Ces derniers clichés, notamment le profil évolutif nécessairement déficitaire, se retrouvent parfois partagés dans le corps social, par les familles mais aussi par certains professionnels, alors même que la maladie n'est pas fatale, même si durable voire chronique, qu'elle n'est pas sans traitements et que son pronostic, comme plusieurs catamnèses l'ont démontré, est des plus variables.

 

                   Compte tenu de la nature même de la pathologie schizophrénique, susceptible de s'exprimer sous la forme de troubles de la pensée, du langage et du jugement, ou encore de troubles de la perception et de l'appréhension de la réalité, de croyances délirantes ou de productions hallucinatoires, plusieurs études, dont la plus récente est celle de Wirshing et coll. en 1998 (33, 34), ont tenté d'évaluer le niveau de compréhension d'informations fournies aux patients en vue d'obtenir leur consentement pour participer à des essais thérapeutiques en double insu: 10 % des schizophrènes de l'étude de Wirshing comprennent dès le premier entretien; 53 % nécessitent une deuxième explication et pour les 37 % restants, au bout de  trois ou quatre reprises. Les auteurs en concluent que, même si la présentation des informations a besoin d'être un peu plus longue chez les sujets schizophrènes, leur niveau de compréhension est jugé globalement satisfaisant. En outre, quand des difficultés de compréhension perturbent l'intelligibilité de l'information, elles ne sont corrélées ni à la présence de symptômes délirants, ni à une activité hallucinatoire, mais à l'item "désorganisation conceptuelle" de la BPRS. Les désordres cognitifs portant sur la mémoire, les capacités attentionnelles et les fonctions exécutives, présents chez plus de la moitié des patients, sont d'intensité très variable et parfois fluctuante: seule une minorité de patients (moins de 10 %) verraient leur aptitude à comprendre et à restituer perturbée ou entravée par des troubles cognitifs sévères.

                   Au plan clinique, deux cas de figure peuvent être schématisés selon Kress (17, 18). Les premières situations s'observent dans des contextes d'urgence et réalisent des tableaux de refus global, de négativisme, de dissociation profonde ou de retranchement autistique régressif: l'information y sera évidemment peu intégrée, même si, selon la remarque pertinente de Kress, "un catatonique n'est pas un comateux". Beaucoup plus courantes sont les situations cliniques de patients délirants avec lesquels l'échange n'est pas impossible et permet la communication de certains messages, en dépit d'un délire insistant.

 

                   Le déni ou la non-conscience de la maladie posent ici un problème spécifique et fréquent, dans la mesure où une compliance correcte présuppose une conscience au moins partielle du trouble ou une ébauche de reconnaissance. Spriet et Simon déjà notaient en 1978 que les taux de non-observance étaient d'autant plus importants que l'affection était moins ressentie par le malade. En 1994, Amador et coll. (1) ont essayé d'évaluer le facteur dit de "conscience des troubles" chez 400 schizophrènes: près de 60 % n'ont pas du tout conscience de leur pathologie ou n'en ont qu'une conscience très partielle et affaiblie. Ces études posent des problèmes méthodologiques sérieux, dont le moindre n'est pas le choix des instruments d'évaluation. Parmi les échelles qui visent à mieux cerner les capacités d'insight, les items principaux portent sur le fait d'être conscient que l'on souffre d'un trouble mental, sur l'aptitude à pouvoir considérer certains phénomènes (délire, hallucination) comme pathologiques et l'acceptation ou le refus de la nécessité d'un traitement (9).

 

                   D'autres mécanismes psychopathologiques peuvent venir perturber information et compliance, comme la projection délirante qui constitue le médicament et/ou le prescripteur en persécuteurs malfaisants. Le traitement est vécu dans une ambiance hostile comme une menace angoissante d'empoisonnement, d'influence, de contrôle ou mise à mort. Les effets secondaires sont alors relus dans le registre délirant de la persécution, de l'intoxication ou de la transformation corporelle. Un malade refuse les neuroleptiques, car ils diminuent ses défenses contre ses ennemis. Il n'accepte, pour des raisons inverses, que des psychostimulants ou des antidépresseurs,  à la condition de n'être pas sédatifs, car ils peuvent accroître ses défenses: de là, des ordonnances pharmacologiquement aberrantes, mais psychodynamiquement légitimes. Tel autre clive la prescription: rebelle aux neuroleptiques, mais fidèle, sans raison particulière d'addiction, aux correcteurs cardio-vasculaires ou extra-pyramidaux.

 

                   Un dernier paramètre essentiel recouvre tout le registre de la dimension transférentielle et les modes affectifs selon lesquels le patient va investir le médecin,  l'équipe soignante et l'institution, qui peuvent être vécus sur un mode intrusif insupportable, mais qui peuvent aussi bien être surinvestis dans une relation de dépendance fusionnelle, ou encore être vécus contradictoirement dans l'ambivalence et le chaos. De ce dernier point de vue, notons à côté de l'existence avérée de consentements pathologiques (complaisants par délire ou éléments d'un système de croyances délirantes, chez un martyr de la science par exemple), celle de compliances pathologiques confinant par exemple à la dépendance institutionnelle.

 

                   3/ Facteurs liés au médecin prescripteur

 

                   Beaucoup dépend de la qualité de la relation nouée et entretenue et "la compliance doit être réciproque" (Blondiaux et coll., 5). Désir d'informer sur la maladie et le traitement et disponibilité de la part du médecin sont ici exigibles. Plusieurs observations de la relation thérapeutique (3, 5, 23, 29) reconnaissent comme autant de facteurs impliqués dans la compliance, le "style" des consultations, leur fréquence et leur durée, les négligences, les oublis ou les retards du médecin, les différentes "postures" médicales dégagées par l'anthropologie et la psychologie de la relation médecin-malade.

 

                   Enfin, la réticence éventuelle de la part de certains médecins à informer peut provenir d'un malaise intérieur lié à une possible remise en cause de leur savoir. La vraie question ne serait pas: devons-nous, oui ou non, renseigner nos patients schizophrènes et leurs proches sur notre diagnostic et sur leur traitement ? Mais bien plutôt cette autre: que devons-nous dire ? Ou encore: que savons-nous réellement à l'orée du XXIème siècle de la schizophrénie ? Qu'il s'agisse de diagnostic, de pathogénie et de pronostic, qu'est-ce que notre savoir scientifique et fondé nous autorise à produire en matière d'information et de communication ? Quel est, par exemple, l'avenir d'un premier épisode délirant chez un jeune et que pouvons-nous en dire ? La prise de conscience de l'insuffisance d'un corpus scientifique validé sur ce thème et la reconnaissance de l'incertitude diagnostique et pronostique de nos pratiques pourraient contribuer à assouplir certaines réticences défensives.

 


                   Trois remarques conclusives en forme de paradoxes: le premier pourrait largement être alimenté et développé par les analyses de Philippe Pignarre (26) sur les refus des traitements neuroleptiques, en particulier aux Etats-Unis, où il nous invite à observer que si un patient accepte sans problème son traitement, les soignants ne se poseront jamais la question de sa compétence, au sens élargi du terme. Celle-ci ne se posera jamais qu'en cas de refus, posant la question de sa compétence à dire non et ouvrant, du même coup, le soupçon que le désaccord ou le refus du patient pourraient bien être imputables à sa pathologie. L'observation quotidienne permet d'enchérir sur ce premier paradoxe: lorsqu'un patient refuse, plus  il serait, dans cette dernière logique implicite, légitime de le considérer comme malade et incompétent par maladie, plus nous nous adressons à lui sur un mode persuasif, rationnel et pédagogique...Assez étrangement, ce débat moderne nous rapproche des origines mêmes de notre discipline et de la problématisation pinélienne et esquirolienne de la notion d'aliénation partielle: pouvons-nous penser et laisser au psychotique cette possibilité d'émettre un non non-pathologique ? Souhaitons en tout cas au mouvement contemporain de déstigmatisation de la schizophrénie un autre avenir que celui du traitement moral.

 

                   En matière d'observance et d'information, un modèle est déjà sous nos yeux et actualisé dans la recherche biomédicale: les protocoles d'essais thérapeutiques tels que réglementairement encadrés en France par la loi Huriet. N'est-il pas pensable, comme le suggère Lachaux (19), d'étendre, mutatis mutandis, à la pratique quotidienne ce qui est légalement exigible dans le contexte d'une recherche? Nous savons, bien sûr, cet autre paradoxe qui fait le chercheur s'adresser pour obtention d'un consentement,  à la psyché même qui fait l'objet de la recherche, mais nous savons aussi que rares sont les situations cliniques de quasi abolition de toute compétence.

                  

                   Information et consentement, plus spécialement dans les pathologies psychotiques, ne constituent pas des données acquises une fois pour toutes. L'information peut être révisée. Le consentement et l'observance peuvent évoluer au fil du temps pour se stabiliser avec l'évolution de la relation à un niveau acceptable par les deux parties. Rappelons que nous recherchons chez nos patients de l'adhésion, dont il existe tout un nuancier, et non de l'adhérence, au sens "péritonéal" de soudure définitive. De plus, la notion de transparence totale et d'exhaustivité est vraisemblablement de l'ordre du mythe. Pis: trop d'informations peut tuer l'information, comme il est devenu évident à chaque entrée sur le Réseau. Une information n'est pas de nécessité éclairante et mobilisatrice: certaines informations, assénées brutalement ou par souci d'objectivité, peuvent au contraire aveugler et sidérer, comme s'en plaignent par exemple certaines femmes enceintes depuis la mise en place d'un dépistage biologique de la trisomie 21.

 

                   Si informer, c'est donner à l'informe la chance d'une organisation, donner une forme à un substrat qui en était dépourvu, l'assimilation d'une information n'est pas un simple transfert d'informations, c'est la construction d'un savoir ou plus exactement sa co-construction dans une relation, ce qui présuppose de part et d'autre un véritable travail, peut-être de perlaboration. C'est alors le partage d'un savoir: nommer, prévenir, décrire, informer, avertir, autant de tâches qui doivent nous  donner, au moins théoriquement, la possibilité d'un partage, le partage d'une extériorité devenue possible vis-à-vis de la maladie.                                                   

 

REFERENCES

 

1         Amador X, David AS. Insight and psychosis. Oxford University Press, 1998.

 

2         Awad AG, Hogan TP, Voruganti LNP, Heslegrave RJ. Patients'subjective experience on antipsychotic medications: implications for outcome and quality of life. International Clin Psychopharmac 1995; 10 (suppl 3): 123-32. 

 

3        Balint M. Le médecin, son malade et la maladie. Payot, 1970.

 

4         Bayle FJ, Chauchot F, Maurel M et al. Enquête sur l'annonce du diagnostic de schizophrénie en France. Encephale 1999; XXV: 603-11.

 

5         Blondiaux I, Alagille M, Ginestet D. L'adhésion au traitement neuroleptique chez les patients schizophrènes. Encephale 1998; XIV: 431-8.

 

6         Conférence de consensus. Stratégies thérapeutiques à long terme dans les psychoses schizophréniques. 13 et 14 janvier 1994, Paris. Agence Nationale pour le Développement de l'Evaluation Médicale, 1994.

 

7         Couet JM. Que reste-t-il de l'information donnée au patient? Thèse pour le Doctorat en Médecine, Angers 2000.

 

8         Cramer JA. How often is medication taken as prescribed? A novel assessment technique. JAMA 1989; 261: 3273-7.

 

9         David AS. Insight and psychosis. Br J Psychiatry 1990; 156: 798-808.

 

10    Document de consensus hollandais relatif aux conditions minimales du traitement de la schizophrénie (Schizofrenie Stichting Nederland). La Lettre de la Schizophrénie 1997; 6: 17-20.

 

11    Fawcett J. Compliance: definitions and key issues. J Clin Psychiatry 1995; 56 (suppl 1): 4-10.

 

12    Ferreri M, Rouillon F, Nuss P et al. De quelles informations les patients souffrant de schizophrénie disposent-ils sur leur maladie et leur traitement? Encephale 2000; XXVI: 30-8.

 

13    Haynes RB, Taylor DW, Sackett DL.  Compliance with health care. The John Hopkins University Press, Baltimore, 1979.

 

14    Information des patients. Recommandations destinées aux médecins. Agence Nationale d'Accréditation et d'Evaluation en Santé, 2000.

 

15    Kampman O, Lehtinen K. Compliance in psychoses. Acta Psychiatr Scand 1999; 100: 167-75.

 

16    Kemp R, Hayward P, Applewhaite G, Everitt B, David A. Compliance therapy in psychotic patients: randomised controlled trial. Br Med J 1996; 312: 345-9.

 

17    Kress JJ. Ethique et psychologie médicale. Halopsy 1994; 12: 9-16.

 

18    Kress JJ. Information du patient schizophrène et de son entourage. Ann Med-Psychol 1999 ; 157 (7) : 477-8.

 

19    Lachaux B. Du consentement aux soins au consentement aux expérimentations, ou le médecin entre contrat particulier et contrat social. Congrès de psychiatrie et de neurologie de langue française, LXXXXIème session, Pointe à Pitre, 1993.

 

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