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SERVICE de PSYCHIATRIE et de PSYCHOLOGIE MEDICALE

CHU ANGERS

 


Avertissement : toute référence à cet article doit faire mention de son auteur et du site de la "Psychiatrie Angevine"
Copyright SERVICE DE PSYCHIATRIE ET DE PSYCHOLOGIE MEDICALE CHU ANGERS 2005

J.B. GARRE – Professeur des Universités Praticien Hospitalier
Service de Psychiatrie et de Psychologie Médicale – CHU 49033 Angers

5ème Journée du Service Hospitalo-Universitaire de Psychiatrie et de Psychologie Médicale de Nantes
Vendredi 1er octobre 2004 
Faculté de Médecine de Nantes

«Troubles de la personnalité : pourquoi et comment les prendre en compte ? »
sous la présidence du Professeur J.D. GUELFI


Y a-t-il une place pour le traitement des troubles de la personnalité en milieu hospitalier ?


            Cette interrogation, un peu dubitative, peut sans doute laisser entendre une pointe de scepticisme qu’il n’est pas indifférent de relever d’entrée, si l’on veut bien accepter que le traitement des troubles de la personnalité se trouve également conditionné par la personnalité même du thérapeute ou par le style de l’institution soignante, et en particulier par leur coefficient d’optimisme ou de pessimisme vis à vis des possibilités thérapeutiques.


            Il existe en France, depuis des origines lointaines, que l’on pourrait faire remonter à Pinel et à Esquirol, de manière co-extensive à la naissance et au développement de la psychiatrie, toute une très longue tradition de réflexion :

-         sur l’approche institutionnelle dans la prise en charge des troubles de la personnalité,

-         sur les mouvements transférentiels et contre-transférentiels propres à la cinétique institutionnelle,

-         sur le rôle du cadre et de la fonction contenante des limites,

-         sur la palette assez nuancée des médiations que l’institution psychiatrique peut mobiliser  (hôpital de jour, CMP, CATTP, contrats institutionnels…).

 

Ces réflexions concernent en général des prises en charge institutionnelles d’une certaine durée et je ne voudrais pas reprendre ici ces analyses, souvent très fines, mais situer mon propos à partir de ma pratique, qui est celle d’une psychiatrie essentiellement d’urgence et de liaison, au sein d’un CHU, en milieu hospitalier général, sachant que les réponses à la question posée seraient sûrement différentes en milieu hospitalier spécialisé.

 

                        Je voudrais faire partir ma réflexion d’une interrogation assez simple, basée sur l’examen du dossier informatisé que nous utilisons pour chaque patient depuis de nombreuses années et qui comporte plusieurs volets : identification, conditions de prise en charge, diagnostic, actes-traitements, modes de sortie et orientation.

 

                        A la sous section diagnostique, il est demandé à chaque évaluateur de se prononcer sur un diagnostic principal ainsi que sur un ou plusieurs diagnostics secondaires, formulés dans le code de la CIM-10.

 DIAGNOSTIC

1-Motif principal de la prise en charge :

(1 seul)

Etat anxieux………………………………q

Etat dépressif....................... q

Psychose aiguë....................... q

Délire chronique....................... q

Confusion....................... q

Agitation....................... q

Tentative de suicide....................... q

Idées suicidaires....................... q

Situation de crise....................... q

Alcoolisme....................... q

Toxicomanie....................... q

Troubles du comportement alimentaire....................... q

Démence....................... q

Arriération mentale....................... q

Réseau Interféron....................... q

Réseau Gastroplastie....................... q

Réseau Chorée de Huntington....................... q

Réseau Pathologie du sommeil....................... q

Réquisition....................... q

Autre (préciser)…………………………..q

2-Diagnostic principal : (en clair et code CIM-10)

..............................................

/_F_/__/__/__/

3-Certitude diagnostique :  

forte q                      faible q

4-Diagnostic(s) secondaire(s) : (en clair et code CIM-10)

...................................................../_F_/__/__/__/  
.....................................................
/_F_/__/__/__/  

                        Une première remarque porte sur le fait que le diagnostic secondaire (qui est souvent un diagnostic de l’axe II du DSM IV) est parfois non renseigné par le clinicien, alors que le diagnostic principal l’est de manière constante. Cette constatation est plutôt rassurante, tant il paraît difficile de prétendre poser un diagnostic de personnalité ou de réaliser une évaluation de fonctionnement psychosocial, sur un seul entretien et dans des conditions parfois difficiles, comme c’est souvent le cas dans un service d’urgence ou en psychiatrie de liaison.

                        Il arrive parfois qu’un interne en psychiatrie revienne de ses périples au sein de l’établissement avec des diagnostics de personnalité qui nous paraissent toujours un peu abruptes ou péremptoires : « C’est une personnalité hystérique… une personnalité immature… un obsessionnel typique… »  Je me trouve d’une part, toujours un peu choqué par la rapidité de telles évaluations à l’emporte-pièce et d’autre part, je suis à peu près convaincu que, même et peut-être a fortiori, si nous nous trouvons parfois devant de véritables caricatures de personnalités, obsessionnelles ou psychopathiques, nous nous trompons régulièrement, et que la clinique de la personnalité est toujours et heureusement beaucoup plus complexe que nos évaluations, dont la délicatesse méthodologique est souvent voisine de celle d’un ours. Je veux dire que le propre d’une caricature est précisément d’être dépourvue d’épaisseur et qu’une caricature  peut à son tour fonctionner comme un masque, ce qui constitue après tout l’étymologie même des mots

personne, personnalité et personnage. Derrière le masque que donne à voir le personnage, une tout autre personne s’avance peut-être masquée. Enfin et surtout, je me demande alors et je demande également à mon interne : A quoi ça sert ? et : Qu’est-ce que l’on peut bien faire de cette évaluation et de ce diagnostic ?

                        Diagnostic principal / Diagnostic secondaire : l’adjectif « secondaire » appelle ici une autre remarque. Les troubles de la personnalité en eux-mêmes motivent en effet rarement des demandes de soins spécifiques et ils sont plutôt appréhendés et saisis par le clinicien à travers leurs complications. Celles-ci vont à leur tour se retrouver codées dans l’axe I, qu’il s’agisse de troubles de l’humeur, de troubles du comportement, de troubles addictifs ou de tentatives de suicide.

                        Si l’on s’intéresse, comme c’est le cas de mon équipe, à la suicidologie, on sait par exemple, que chez les suicidants et chez les suicidaires, il existe une co-morbidité importante avec un trouble de l’axe I pour certaines personnalités pathologiques :

-         les personnalités borderline,

-         les personnalités anti-sociales,

-         les états-limites à expression psychopathique,

-         les personnalités évitantes et dépendantes.  

On sait aussi que chez les suicidants, l’existence d’un trouble de la personnalité représente un facteur, très bien documenté aujourd’hui dans la littérature, de risque de récidives ou de suicide réussi ultérieur, et qu’il existe une prévalence plus élevée de troubles de la personnalité chez les sujets répétiteurs et multi-répétiteurs que chez les primo-suicidants.

                        Il me semble que l’on trouve donc là un premier élément de réponse à la question posée, qui est aussi celle de l’utilité du regard diagnostique : oui, la recherche et le dépistage d’un trouble de la personnalité doivent faire partie de l’évaluation psychiatrique en urgence et en liaison, car on sait qu’une personnalité pathologique peut être à l’origine de troubles et de désordres, plus ou moins spécifiques, comme des troubles addictifs ou des troubles dépressifs ou un risque suicidaire, vis à vis desquels des stratégies thérapeutiques plus ou moins spécifiques peuvent être mises en place.

                        Une deuxième remarque porte sur la constatation d’une antinomie certaine entre la personnalité et ses troubles d’un côté et, de l’autre, les qualificatifs, en particulier d’ordre temporel, qui sont régulièrement associés à la description d’une personnalité.

PERSONNALITE ET SES TROUBLES

HOSPITALISATION

Longue durée

Brièveté

 

Consistance

Persistance

Permanence

 

Evénementialité

Ponctualité temporelle

Stabilité

Changement

Continuité

Discontinuité

Unité

Unicité

Totalité

Individualité

Pluralité

Equipe

Intervenants successifs

                        Cette antinomie des deux registres peut expliquer qu’en liaison, le problème de la personnalité des patients ne soit soulevé que devant des problèmes comportementaux relationnels, susceptibles de troubler ou de compromettre le séjour hospitalier, c’est-à-dire devant des patients qualifiés de « difficiles » : qu’il s’agisse de récriminations ou de demandes jugées excessives, de non respect des cadres réglementaires, de manipulations ou d’agressivité envers les équipes soignantes, ou encore d’absence de compliance aux soins.

                        Il est de constatation clinique courante que ces difficultés sont en effet souvent rencontrées chez des patients présentant des troubles de la

personnalité. Il est non moins vrai que par ailleurs, l’hospitalisation, la découverte d’une maladie, une annonce diagnostique, ou, en général, un séjour à l’hôpital général représentent des facteurs de stress pour des personnalités déjà fragiles et vulnérables.

                        Nous empruntons à R. Zumbrunnen la description très suggestive des implications cliniques, susceptibles d’être observées à l’hôpital général, de troubles définis de la personnalité. Aux caractéristiques classiques d’un trouble de la personnalité, telles que nous les proposent plusieurs typologies, sont associés un certain nombre de troubles ou de complications. Cet ensemble clinique permet de décrire des problèmes ou des difficultés prévisibles, susceptibles de se manifester lors d’un séjour à l’hôpital général, ainsi qu’un certain nombre de propositions thérapeutiques.

Les troubles de la personnalité et leurs implications cliniques à l’hôpital général

(R. ZUMBRUNNEN, Psychiatrie de liaison, Masson, 1992)

Personnalité

Caractéristiques

Troubles associés

Problèmes à l’hôpital général

Suggestions thérapeutiques

Borderline

(limite)

Instabilité et excès (dans l’humeur et les relations) Abandonnisme Comportement à risque Auto-agressivité

Vide intérieur

Trouble de l'identité

Tentative de suicide

Abus de toxiques

Manipulation

Revendications

(p. ex. médicaments)

Clivage équipe (« bons » - « méchants »)

Notion de contrat (« donnant-donnant ») Poser des limites claires (prévoir sanction en cas de transgression) Présence : régulière, courte durée

Limiter le nombre de soignants

Cohésion de l’équipe : colloques

Antisociale

Instabilité sociale

Comportement antisocial et agressif (dettes, bagarre,

comportement délictueux) Absence de culpabilité

Tentative de suicide

Abus de toxiques

Plaintes somatiques

Manipulation

Violence

Délits

Sortie contre avis médical

Sortie forcée

Notion de contrat

(« donnant-donnant »)

Poser des limites claires (prévoir sanction en cas de transgression)

Cohésion de l’équipe : colloques

Compulsive

Perfectionnisme

Se perd dans les détails

Inflexibilité, méticulosité. Indécision

Restriction dans l’expression des émotions

Hypocondrie

Dépression, anxiété

Maladies coronariennes

Tr. obsessionnel

Patient « compliqué »

Supporte mal les contraintes et la perte de contrôle (peut réagir par un laisser-aller massif)

Donner informations et explications

Rendre au patient un certain contrôle (médicaments, choix thérapeutiques, etc.)

Paranoïaque

Méfiance vis-à-vis d’autrui

Tendance à se croire exploité ou persécuté

Réagit à ces sentiments par agressivité ou contre-attaque

Dépression grave (lorsque la réalité ne permet plus au sujet d'éluder ses propres lacunes)

Ambiance de soupçons et de conflits

Ruptures thérapeutiques

Démarches judiciaires

Essayer de dissiper sentiments persécutoires par information et explications

Dossier bien tenu, sans ambiguïté

 Ne pas se sentir personnellement agressé par les attaques ou les soupçons du patient

Narcissique

Besoin excessif d’attention et d’admiration

Insensibilité aux besoins des autres

Hypersensibilité à la critique

Dépression grave (lorsque la réalité confronte le sujet à son insuffisance)

Sollicite des égards particuliers des soignants  Effondrement dépressif (la maladie constitue une atteinte à l’image de soi)

Souplesse ; faire participer le patient aux choix thérapeutiques

En cas d’effondrement dépressif : « nursing » et « maternage » limités dans le temps

Histrionique

Exagération de l’expression émotionnelle

Besoin excessif d’attention et de réassurance

Trouble de conversion Somatisation

Abus tranquillisants

Epuisement des soignants (demandes excessives)

Rejet par le milieu soignant car troubles « pseudo-organiques »

Encouragement et explications, mais poser également limites aux demandes du patient (investigations, soins, prolongation du séjour, etc.)

Dépendante

Comportement soumis et dépendant

 Besoin des autres pour prendre des décisions

Solitude mal supportée

Réactions dépressives et anxieuses

Abus de substances (méd., alcool)

Angoisse face à la sortie

Séjours prolongés

Tâches graduées assorties d’encouragement

Planification des étapes du traitement

                         La description, certes ramassée et schématique, de ces cas de figures présente un intérêt évident en psychiatrie de liaison, mais aussi dans le cadre de la psychologie médicale en général, telle qu’elle est appliquée à la relation médecin-malade et à ses aléas. C’est ainsi qu’un travail thérapeutique et pédagogique, voire préventif, peut être mené auprès des équipes soignantes, visant par exemple à leur apprendre à garder une distance de bon aloi vis à vis d’une personnalité histrionique, à éviter une escalade frontale dans la confrontation avec une personnalité paranoïaque, à donner des limites claires et un cadre défini aux personnalités impulsives ou psychopathiques, à savoir réassurer une personnalité anxieuse ou évitante.

 

                        Un deuxième élément de réponse à la question posée nous est ainsi fourni : oui, il est sans doute utile de savoir repérer et identifier un trouble de la personnalité à l’hôpital général : non pas dans un but de spéculation taxinomique ou par goût de l’étiquetage entomologique, mais parce que certains dysfonctionnements peuvent être prévisibles en fonction de profils donnés de la personnalité. Sachant qu’il ne s’agit pas de traiter en soi le trouble de la personnalité à l’hôpital général, mais très modestement, de viser à ce que le patient puisse recevoir les soins que son état somatique requiert, dans des conditions acceptables pour tous, c’est-à-dire d’abord pour lui et pour les équipes soignantes.

 

                        Ma troisième et dernière remarque vise à mieux cerner encore la place et la fonction de l’hospitalisation à l’hôpital général en matière de troubles de la personnalité. Il est clair en effet que la plupart des troubles de la personnalité sont traités et pris en charge à l’extérieur de l’hôpital, en ambulatoire. Il est non moins clair que le fait de présenter un trouble de la personnalité expose à des hospitalisations plus fréquentes ainsi qu’à des passages plus fréquents en service d’urgence, en particulier pour des situations critiques, dont le prototype est la crise suicidaire. Ce type de moment critique représente peut-être un moment opportun à saisir. Par crise, on désigne un changement subit, souvent décisif, dont l’issue peut être défavorable ou inadaptée, mais parfois aussi favorable, quand elle donne l’occasion à la personne qui a pu surmonter la crise d’accroître ses ressources personnelles. L’étymologie grecque en témoigne : la crise est le temps du jugement ou encore un moment de vérité.

 

                        Ce moment est particulièrement intéressant à observer lors de certaines hospitalisations pour des raisons critiques (tentatives de suicide, troubles du comportement) : temps particulier où le sujet est susceptible de baisser sa garde, où ses mécanismes de défense et de coping habituels sont dépassés, où il est susceptible de se retrouver inerme, en général pour des temps assez brefs, car rapidement, on le voit se ressaisir et réendosser sa carapace.

 

                        Si l’on admet que la personnalité représente au premier chef une forme de continuité : continuité entre ce que nous avons été et ce que nous sommes, entre passé et présent, continuité de nos souvenirs, de notre mémoire, de notre vie imaginative et fantasmatique ; si l’on admet encore que la personnalité représente une réalité du moi, entendue comme une réalité stable ou capable de stabilité, une réalité apte à la durée, correspondant, jusque dans ses troubles et ses ratés, à un fonctionnement habituel, à une allure stabilisée, à un régime stable et durable de fonctionnement, l’hospitalisation critique peut alors représenter une occasion (mais très relative) sinon de changement, du moins de vacillations ou d’interrogations.

 

                        Très relative en effet, si l’on pense à un rapprochement possible entre le réveil psychologique du suicidant et ce que Paul Valéry dans ses Carnets écrit du réveil matinal. Ce dernier réalise en effet, selon lui, un « coup de mémoire général », qui va « rappeler presque instantanément le système à ses devoirs et à ses habitudes ». Entre les deux, entre le sursaut matinal, qui peut donner la chance d’une surprise, et le retour aux pentes et aux lignes de déclivité habituelle de la personnalité, il y a peut-être une place, ténue et assez fragile, pour une approche thérapeutique des troubles de la personnalité en milieu hospitalier.