Journées de Psychiatrie de Fontevraud-Retour Accueil

RESUMES DES INTERVENTIONS – FONTEVRAUD 2001

INTRODUCTION

Professeur GARRE

"--Taisez-vous, ignorante; ce n'est pas à vous à contrôler les ordonnances

de la médecine."

Molière, Le Malade imaginaire, I, 2.

Dès ses débuts hippocratiques, la prescription constitue le temps fort de l'acte médical: le praticien y rassemble les données conclusives de son examen, dans une ordonnance dont la nature ne se ramène pas à une prescription exclusivement médicamenteuse, mais peut concerner une requête supplémentaire d'explorations paracliniques ou organiser pour le patient de nouveaux comportements ou un nouveau cadre de vie, sous la forme normative de recommandations d'hygiène, de mode de vie, de régimes ou de propositions de suivi médical, institutionnel ou psychothérapique.

Mais un triple paradoxe vient inquiéter les mandements du médecin, et plus spécifiquement du psychiatre, dont les injonctions doivent désormais composer : certains patients refusent en effet de souscrire au contrat implicite et, ne s'estimant pas malades, prolongent logiquement leur déni dans la fin de non-recevoir qu'ils opposent à toute proposition d'un soin pourtant légitime et nécessaire; d'autres, mieux inspirés, acceptent en apparence, mais deviennent rapidement infidèles ou irréguliers: non observants ou piètres compliants (de 30 à 60 %, quelle que soit la pathologie); d'autres enfin acceptent et acceptent de guérir, mais pour des raisons pharmacologiquement irrecevables et par effet placebo...Et que dire des consentements pathologiques par complaisance délirante ou de certaines compliances pathologiques confinant à la dépendance au produit, au prescripteur ou à l'institution?

L'art médical: formation de compromis entre science et croyance? Le sous-titre retenu pour la XVIè Journée psychiatrique du Val de Loire, dont l'esprit s'est toujours voulu inter, pluri ou trans-disciplinaire, autorise à convoquer autour de la thématique générale de la prescription de multiples regards croisés:

* et tout d'abord, celui de la santé publique dont le champ médico-économique est traversé par des lignes de forces antagonistes. Que signifie pour notre pays la reconnaissance stigmatisante et consacrée d'un leadership mondial en matière de surconsommation et de surprescription de psychotropes? Comment hâter, s'interrogent nos décideurs anxieux, l'avènement de cette figure idéale du médecin-non-prescripteur? Psychodynamiquement légitime, l'ordonnance est parfois aberrante au regard de la rationalité canonique de la pharmacologie. Le médecin se déplace malaisément entre les risques d'un sous-diagnostic et d'une surprescription. Du côté du surconsommateur, l'évaluation reste difficile de la part imputable aux risques addictogènes des produits et de celle qui revient à une demande souvent ambiguë...

* Droit à l'information du patient, accès direct et libre au dossier-source, obligation dévolue au praticien d'apporter la preuve qu'il a convenablement renseigné sur le diagnostic, le pronostic, le but et les effets secondaires du traitement, relecture de la prescription comme d'une affaire dont traitent deux parties, et de l'ordonnance comme d'une négociation: la biomédecine porte un souci nouveau et attentif aux compétences propres du patient, dont sa compétence au dialogue voire au refus, son insight sous traitement et son expertise clinique personnelle de l'efficacité et des effets indésirables des traitements. Co-décision, co-construction et co-gestion: pente contemporaine de la prescription. Le prescripteur moderne cherche à conclure et à maintenir dans des formes transactionnelles inédites une alliance et il accepte le principe d'un partage de savoir qui autoriserait idéalement avec le patient et son entourage le partage d'une extériorité devenue possible vis-à-vis de la maladie, tant d'efforts pédagogiques présupposant pour chacun, outre la définition de nouvelles normes éthiques, juridiques et déontologiques, l'équivalent d'un véritable travail de perlaboration.

* Hypnotisme, suggestion, psychothérapie: quand Hippolyte Bernheim fait paraître en 1891 son traité, bientôt traduit par Freud, il innove à un double titre. L'un des premiers à collationner et à systématiser des observations cliniques de suggestion: médicamenteuse, mais aussi électrique et intrumentale, il donne également tout son crédit médical à la notion neuve de psychothérapie, le néologisme naissant dans le sillage des signifiants et des vocables de la suggestion pour rendre compte de phénomènes qu'ils étaient devenus impuissants à décrire. La psychanalyse, conçue comme un projet de psychothérapie scientifique et attirant notre attention sur les facteurs transférentiels inhérents à la relation thérapeutique et liés à la manière d'administrer la matière médicale, se donne l'ambition de guérir "ces malades qui ne seraient pas guérissables par les médicaments, mais par le médecin" (1904), ouvrant pour l'arpenter une voie médiane où les expectations et les croyances du patient se nouent à l'auto-prescription du thérapeute. Depuis, ethnopsychiatrie et ethnopharmacie ont relativisé encore -- jusqu'au brouillage -- notre regard et nous invitent à faire retour vers nos propres méthodes thérapeutiques indigènes, alternatives ou parallèles.

* Le thème général de la prescription permet enfin d'interroger le statut même de l'objet médicamenteux, consacré par notre modernité comme une véritable "chimère bio-psycho-sociale" (Philippe Pignarre): l'effet d'ajout d'un halo signifiant autour de la pure molécule n'invalide-t-il pas les essais d'une définition exclusivement pharmacologique du médicament et ne vient-il pas problématiser par exemple les synonymies et les équivalences thérapeutiques que l'autorité sanitaire soumet au prescripteur? Janus bifrons, agent du salut ou drogue malfaisante, toxique funeste exposant à pharmaco-dépendance ou positivité bienfaisante et pacifiante, le psychotrope moderne ne maintient-il pas parmi nous la figure d'une proximité très ancienne entre remède et poison, dont le grec pharmakôn et le latin potio assumaient l'ambivalence?

Telles, quelques-unes des réflexions auxquelles renvoie, entre science et croyance, l'examen de la question de la prescription et que les

intervenants ont eu la grande amabilité de bien vouloir aborder, honorant les organisateurs de leur participation à cette Journée et poursuivant peut-être le dialogue amorcé en 1932 dans L'Idée fixe ou Deux Hommes à la mer, par Paul Valéry, autour de l'argument d'une Histoire, naturellement changeante, de la Thérapeutique, dont les progrès ou les modes viendraient répondre à une sorte de goût quasiment cellulaire de nos organismes:

" -- Vous avez insinué tout à l'heure que l'organisme lui-même appréciait le neuf, se dégoûtait en quelques années de la médication régnante, refusait de guérir si on ne l'intéressait pas par des irritations inédites.

-- C'est un fait! La Thériaque a régné et guéri pendant cinq ou six siècles. Mais, en trente ans, nous avons vu séro, auto, photo, électro, opo, thérapies, et il n'est pas de métalloïde, de métal, d'alcaloïde, de ferment, d'édifice moléculaire bizarre, de rayon, de légume, de pelure de fruit ou de germe de céréale, sans compter les moustiques, le foie de veau, le muscle palpitant de colombe, l'eau marine et les choses interstitielles, ovariennes, thyroïdiques, surrénales, -- et même les invisibles et insaisissables, les vitamines, de A jusqu'à Z, qui ne soient venus étonner les cellules humaines...On n'a rien fait de plus varié, de plus extravagant en Littérature...

-- Mais, mon cher, c'est bien simple. C'est la même nécessité. Le corps moderne, comme l'esprit moderne, a besoin du choc...Ils sont philoclasiques."

 


François GARNIER

La prescription du médecin généraliste ou comment améliorer la tolérance à l’incertitude

Accusé de tous les excès dans ses prescriptions, le Médecin Généraliste est amené à réfléchir sur les mécanismes qui le guident.

Confronté d’une part à la réalité du patient, d’autre part à la perception de sa fonction, il tente de prescrire, cerné par le temps.

Afin d’améliorer son confort et peut-être par voie de conséquence celui du patient, le Médecin Généraliste pourrait explorer quelques pistes :

- Les représentations du patient sont-elles proches ou éloignées de celles du médecin ?

- Quelle place lui donne le patient ?

- Est-ce la prescription ou la non-prescription qui peut faire bouger le patient ?

L’élaboration de ces questions pour chaque patient influe considérablement la prescription et augmente la tolérance à l’incertitude du Médecin Généraliste.

 


Philippe PIGNARRE

 

Pragmatique de la prescription des antidépresseurs

 

Les antidépresseurs ont profondément bouleversé l’approche des troubles mentaux. Ils ont modifié le rapport entre psychanalyse et psychiatrie et favorisé l’émergence d’une psychiatrie du médecin généraliste. Les vieux concepts de la métapsychologie sont devenus inutiles sans être réfutés. Comment la nouvelle psychiatrie s’invente-t-elle ? Quel est le rapport entre l’offre psychiatrique et la demande ? Qu’appelle-t-on psychiatrie biologique ? Quels sont les facteurs qui annoncent de nouveaux remaniements du champ psychiatrique ?

 


Markos ZAFIROPOULOS

 

L’ANTHROPOLOGIE FREUDIENNE ET LES PRESCRIPTIONS

 

Essayistes ou sociologues de la post-modernité mettent volontiers l’accent sur le désinvestissement généralisé des institutions comme sur la désertion corrélative des figures de l’autorité voire sur la déstructuration des organisations familiales du monde occidental.

La contrepartie clinique de cette analyse résiderait dans la prolifération des symptômes modernes au premier rang desquels les états-limites ou encore la "fatigue d’être soi " motivant l’incessant développement des prescriptions ou des auto-prescriptions lorsque les états-limites prennent le visage de la manie des toxiques. Face à ce diagnostic les freudiens doivent-ils simplement joindre leur voix à l’inculpation consensuelle du père oublieux ou doivent-ils poursuivre dans l’analyse du travail de l’inconscient qui pourrait aussi bien soutenir l’inculpation du père que le complexe manie/mélancolie déclenchant prescriptions et auto-prescriptions ?

 


Jean-Louis SENON

 

Auto-médication : auto-traitement ou auto-mystification

 

" Hey bonsoir Mr Blues.. bonsoir Mr Cafard…

On va se faire une fête rien qu’entre vous et moi

Nous arranger la tête les grands dans les petits plats…

Moi j’ai quelques amis qui ne me laissent jamais tomber

En liquide, en pilule, en poudre, en comprimé

Les seuls à pouvoir encore me faire ressentir

Des morceaux d’émotion des bouffées de plaisir…

Ne laissez plus vos sens dans les mains du hasard…

Le bonheur en couleur sécurité sociale. "

Jean-Jacques Goldman

Maladie du siècle, l’automédication n’est pourtant pas un phénomène nouveau. Si l’on se rapporte à la définition actuelle de la santé conçue comme un état de complet bien-être physique, moral et social, l’automédication devrait recouvrir, au-delà même de l’utilisation hors avis médical de médicaments, tout recours à une technique d’entretien physique comme à une recherche de complétude psychologique allant dans le sens de l’autonomisation et de la responsabilisation indispensables de chacun, que ce soit à titre prophylactique ou curatif vis-à -vis d’une maladie réelle ou redoutée. Mais, dans la plupart des cas, on est loin de cette responsabilité et de cette autonomie dans la recherche de la santé personnelle. Effectivement, l’automédication a bien plus à voir avec la difficulté d’être et la peur d’un avenir psychologique et physique vécu comme menaçant. La peur de la vieillesse s’y retrouve plus encore que la peur de la mort. Elle s’appuie sur la représentation que chacun peut avoir de sa santé, des peurs rapportées au corps, comme de l’identification de ses manques personnels. Médicament magique visant à vaincre les effets de l’âge, médicament pour repousser la crainte de la maladie quand le corps se fait entendre, le produit d’automédication vise aussi à répondre au vide, aux manques, aux insuffisances dans une société où il est tout aussi indispensable d’éprouver sentiments et émotions fortes, que de répondre à l’attente et à la recherche de promotion. C’est dire que l’automédication a bien à voir avec les mythes médiatiques qui se développent dans notre société autour d’une surinformation à finalité commerciale, peu contrôlée dans ses limites comme son contenu. Société de consommation, la société actuelle suggère de façon impalpable notre représentation du bien-être et nous aspire dans une recherche d’un " bonheur sans ordonnance " qui pourrait bien nous déposséder de nous- même, si nous n’y prenions garde.

 


Jean-Marc MOUILLIE

 

Prescription et autonomie : la diététique de la pensée chez Kant

Kant théorise le moment où la médecine comme savoir applicable universellement à tout corps humain s'accompagne d'un devoir de preuve ordonnée à la science de la nature. Mais il s'agit pour lui d'établir une ligne de partage avec une médecine de soi-même, autre devoir ordonné à un exercice immunitaire et salutaire de la raison. L'administration des corps placée sous le signe de l'hétéronomie et de l'objectivité (la thérapeutique), entraînant l'institution et la délimitation d'une compétence professionnelle, s'établit ainsi conjointement à la reconnaissance d'une auto-prescription placée sous le signe de l'autonomie et de la subjectivité individuée (la diététique). Une vérité du corps relève de la pensée. Dès lors émergent les questions des rapports (ou des fausses distinctions) entre prescription dépersonnalisée et intériorisation individuante, entre

médicament et remède, entre soi et non-soi. L'effort kantien pour penser la vérité ou la pertinence de " l'ordonnance " peut à terme permettre une prise en vue de l'imprescriptible, au double sens du terme, inhérent à la prescription médicale.

 

 


Patrick LEMOINE

Le mystère du placebo

Les deux spectres du placebo et de l’effet placebo hantent la prescription qu’ils infiltrent de leur présence sulfureuse. Quel que soit le médicament ou la spécialité, le résultat thérapeutique observé ne recouvre presque jamais parfaitement la prédiction pharmacologique. Surimposé en addition (placebo) ou en soustraction (nocebo) à la pharmacologie, l’effet placebo rend incertaine, imprédictible et partant, non scientifique, la prescription médicamenteuse. Aucune étude ne permet de savoir quelle sera la variation observée ; aucun modèle non plus ne permet de prévoir quel patient sera placebo répondeur ou placebo résistant ; aucune échelle enfin ne permet de décrire le profil du médecin placebo inducteur. Enfin, alors que le placebo permet de modifier des paramètres tels que le taux de cholestérol, l’acidité gastrique, le nombre de leucocytes ou la tension artérielle, son mécanisme d’action reste largement inconnu. Alors, comment le médecin prescripteur conscient de toutes ces zones d’ombre, peut-il malgré tout prétendre à une position scientifique ? C’est là tout le mystère du placebo…