Deuxième partie – Question 278
PSYCHOSES
ET DELIRES CHRONIQUES
Les
délires chroniques non schizophréniques
Rédaction :
G. FOULDRIN, R. GOUREVITCH, F.
BAYLE, F. THIBAUT
Objectifs
Généraux :
Savoir diagnostiquer une psychose et un délire
chronique.
Apprécier les signes de gravité et le pronostic.
Argumenter les principes du traitement et de la
surveillance.
Objectifs
Spécifiques :
Connaître
les principes de l'analyse sémiologique d'un délire chronique.
Connaître
les différentes formes de délire paranoïaque.
Connaître
les principes du traitement des délires chroniques.
La
nosographie française distingue au sein de ces états délirants trois entités
pathologiques principales : les délires paranoïaques, les psychoses
hallucinatoires chroniques et les paraphrénies. Cette classification a été
proposée en se référant aux travaux nosographiques, réalisés
essentiellement au cours du siècle dernier, par l'Ecole de Psychiatrie Française.
Il n'est cependant pas certain que chacun de ces troubles corresponde à une
entité pathologique distincte et de nombreux pays n'ont pas adopté cette
classification.
Il existe d’autres pathologies délirantes à évolution chronique
telles que l’illusion des sosies de Capgras, le délire de négation
d’organes de Cotard, les délires à deux ou encore le syndrome d’Ekbom.
Ces pathologies, beaucoup plus rares, ne seront pas traitées dans ce
chapitre.
Ces
trois états délirants ont en commun un âge de survenue tardif (début en général
après 35 ans), un mécanisme délirant prépondérant caractérisant chacun
d'eux (interprétation délirante pour les délires paranoïaques,
hallucinatoire pour la psychose hallucinatoire chronique, imagination délirante
pour la paraphrénie), une évolution chronique sans traitement contrastant
parfois avec un maintien prolongé de l'intégration sociale et une absence de
dissociation mentale.
1.
Les
délires paranoïaques :
Le terme de paranoïaque qualifie à la fois un trouble de la
personnalité et une pathologie délirante. Il convient donc de toujours en préciser
l'attribution en terme de délire ou de trouble de la personnalité.
Les délires paranoïaques sont des états délirants chroniques, de mécanisme
interprétatif et systématisé. La systématisation du délire lui confère
un caractère extrêmement cohérent qui, associé à la conviction absolue et
inébranlable du patient, peut entraîner l'adhésion de tiers.
Ils se développent plus volontiers chez des patients présentant un
trouble de personnalité prémorbide de type paranoïaque dont les principaux
traits sont représentés par l'hypertrophie du moi, la fausseté du jugement,
la méfiance, la psychorigidité et l'orgueil.
Il est habituel d'identifier au sein des délires paranoïaques les délires
passionnels, les délires d'interprétation et les délires de relation des
sensitifs de Kretschmer.
1.1.
Les
délires passionnels :
Les délires passionnels regroupent l'érotomanie,
les délires de jalousie et les délires de revendication. Ils ont été
regroupés et qualifiés de passionnels du fait de la nature des sentiments et
des thèmes qui les inspirent. Ces états ont en commun d'être des états délirants
chroniques débutant généralement brusquement par une interprétation ou par
une intuition délirante. Ils peuvent secondairement s'enrichir de nombreuses
interprétations délirantes et comportent en général une forte
participation affective pouvant être à l'origine de passages à l'acte.
Les délires passionnels ont une construction dite
"en secteur" car ils ne s'étendent pas à l'ensemble de la vie
psychique, affective ou relationnelle du sujet et les idées délirantes
restent centrées sur l’objet et la thématique quasi unique du délire.
-
L'érotomanie ou l'illusion délirante d'être aimé :
La description clinique définitive de ce trouble a
été réalisée en 1921 par Clérambault.
Le délire érotomaniaque touche plus fréquemment
des femmes et l’objet de l’érotomanie tient souvent une position sociale
élevée et enviée (prêtres, médecins…). Ce trouble débute par un
postulat fondamental, formé par une intuition délirante, au cours duquel
l’objet de l’érotomanie déclarerait son amour.
L’évolution de l’érotomanie se fait en trois
stades successifs : espoir, dépit, rancune. Au cours de ces deux
derniers stades, des actes auto et surtout hétéroagressifs sont à craindre.
-
Le délire de jalousie :
Le délire de jalousie touche essentiellement des
hommes. Il s’installe le plus souvent de façon insidieuse et va se nourrir
et se développer aux dépens d’évènements anodins qui feront l’objet
d’interprétations délirantes.
Il s’associe régulièrement à un alcoolisme
chronique qui peut dans certains cas favoriser la survenue d'un passage à
l'acte.
-
Les délires de revendication :
Ce type de délire passionnel regroupe :
- les « inventeurs méconnus » qui
cherchent au travers d’innombrables démarches à obtenir la reconnaissance
que la société leur refuse,
- les « quérulents processifs » qui
multiplient les procédures judiciaires,
- les
« idéalistes passionnés » qui cherchent à transmettre leurs
convictions.
1.2.
Le délire
d’interprétation de Sérieux et Capgras :
Les délires d'interprétation se développent le
plus souvent chez des patients présentant une personnalité pathologique de
type paranoïaque. Ils peuvent survenir brutalement, faisant suite à un
facteur déclenchant, ou s'installer de façon insidieuse. Ce type de délire
peut se structurer et évoluer durant des années. Les interprétations délirantes
sont nombreuses et tous les évènements rencontrés par le sujet seront
rattachés au système délirant. Il n’y a plus de hasard dans la vie du
sujet. La structure de ce type de délire est dite « en réseau »
puisque tous les domaines (affectif, relationnel et psychique) de la vie du
sujet sont envahis par les idées délirantes.
Les thématiques les plus régulièrement rencontrées
sont celles de persécution et de préjudice.
1.3.
Le délire
de relation des sensitifs de Kretschmer :
Ce délire, décrit par Kretschmer en 1919, se développe
chez des sujets présentant une personnalité prémorbide de type sensitive.
On ne retrouve pas dans les personnalités qualifiées de sensitives ou
sensibles l’hyperestime de soi ou la quérulence qui caractérisent les
autres types de personnalités paranoïaques. Elles présentent par contre
orgueil, sens des valeurs et de la morale, vulnérabilité et tendance à intérioriser
douloureusement les échecs relationnels et affectifs qu’elles rencontrent.
Sur ce type de personnalité, le délire émerge en général
progressivement dans les suites de déceptions. Il se construit sur des
interprétations délirantes et les thématiques les plus fréquemment
rencontrées sont celles de persécution, de préjudice, de mépris ou
d’atteinte des valeurs morales. Ce délire se systématise peu et s’étend
rarement au-delà du cercle relationnel proche du sujet (collègues, famille,
voisins). Il peut se compliquer d’évolution dépressive.
1.4.
Principes
de traitement des délires paranoïaques :
Il n’est pas aisé de traiter un patient atteint
d’un délire paranoïaque. Ces organisations délirantes font rarement
l’objet de remise en question par le sujet qui en souffre et il va falloir
savoir amener un patient, qui ne se considère pas comme malade mais plus
comme victime, à accepter des soins.
-
Problème de l’hospitalisation :
L’hospitalisation de ces patients est en général
assez rare, les soins ambulatoires étant à privilégier au maximum, et en général
dans deux types de situations particulières :
¨
lors d’une exacerbation anxieuse ou d’une décompensation dépressive.
¨
lorsque la dangerosité du patient est importante. Il est toujours important
d’évaluer chez ces patients le potentiel de dangerosité (présence d’un
persécuteur désigné, imminence d’un passage à l’acte, impossibilité
de différer l’acte auto ou hétéro agressif et d’envisager des solutions
alternatives). Dans ce cas, l’hospitalisation se fait plutôt selon le mode
de l’Hospitalisation d’Office puisque les troubles mentaux présentés
constituent un danger imminent pour la sûreté des personnes. L’Hospitalisation
Sur Demande d’un Tiers n’est pas recommandée dans ce cas puisque le tiers
pourra faire l’objet de toute l’attention du patient et devenir le persécuteur
désigné.
-
Les traitements médicamenteux :
Les traitements pharmacologiques reposent
essentiellement, comme dans toutes les pathologies délirantes, sur
l’utilisation des neuroleptiques. A titre d'exemple :
¨
Les neuroleptiques sédatifs sont des traitements à court terme indiqués en
cas d’agitation ou de menace de passage à l’acte. On utilise
principalement la cyamémazine (Tercian® 50 à 200 mg par jour), la lévopromazine
(Nozinan® 50 à 200 mg par jour) ou encore la chlorpromazine (Largactil® 100
à 300 mg par jour)
¨
Le traitement de fond repose sur les neuroleptiques incisifs dont l’action
est inconstante sur ce type de délire. Il faut par ailleurs savoir que la tolérance
de ces médicaments par ces patients est en général assez mauvaise et il est
recommandé d’employer les doses les plus faibles possibles afin de
concilier effets attendus et effets indésirables. A titre indicatif, on peut
utiliser des neuroleptiques classiques, tels que l’halopéridol (Haldol 1 à
5 mg par jour), dont certains disposent de formes à action prolongée
garantes d’une meilleure observance. Les molécules de nouvelle génération,
appelées neuroleptiques à profil atypique ou antipsychotiques, sont souvent
employées en première intention du fait de leur meilleure tolérance sur le
plan neurologique. Il s’agit de la rispéridone (Risperdal® 1 à 3 mg par
jour), de l’amisulpride (Solian® 100 à 400 mg par jour) ou encore de l’olanzapine
(Zyprexa® 2,5 à 5 mg par jour).
¨
Les antidépresseurs peuvent être indiqués en cas de décompensation dépressive
lorsque le délire a été réduit par le traitement neuroleptique. Il faut
les utiliser avec prudence car il est toujours possible de favoriser la réactivation
de la construction délirante. Leur usage doit rester une décision du
psychiatre.
¨
Les benzodiazépines trouvent leur indication dans les traitements d’appoint
et de courte durée des troubles anxieux associés.
Place
des psychothérapies :
Face à un patient souffrant de délire paranoïaque,
il est conseillé au médecin de savoir garder des distances et de faire
preuve d’honnêteté dans les soins proposés afin d’établir un climat de
confiance, préalable indispensable à l’acceptation d’un traitement.
Il faut éviter d'affronter le patient et d'avoir des
attitudes de rejet.
La place des psychothérapies chez ces patients est
restreinte du fait de leur faible capacité de remise en question et
d'introspection.
L'indication du type de thérapie dépend de la
nature du délire, de l'existence de troubles de l'humeur associés, de la
structure de personnalité, des capacités de remise en question et ne peut être
prise que par un psychiatre.
2.
La Psychose Hallucinatoire Chronique :
La psychose hallucinatoire chronique a été
individualisée par Ballet en 1911. Il s’agit d’un délire chronique
survenant le plus souvent chez une femme (7 femmes pour 1 homme) âgée et
vivant seule, de mécanisme principal hallucinatoire, sans dissociation
mentale et d’évolution chronique.
Cette terminologie n’est utilisée qu’en France
et on retrouve, dans les classifications internationales, une partie de ces
pathologies sous le terme de schizophrénie d'apparition tardive.
2.1.
Description
clinique :
Il est possible de retrouver un facteur déclenchant
dans les semaines précédant l’éclosion du délire ainsi que des prodromes
à type de troubles de l’humeur, de modifications comportementales ou caractérielles.
Le début peut être brutal ou progressif.
Dans sa phase d’état, la psychose hallucinatoire
chronique est caractérisée par un état délirant richement hallucinatoire.
Les hallucinations peuvent toucher les cinq sens. Les hallucinations cénesthésiques
(ondes, courant électrique, attouchements sexuels) et olfactives seraient
plus fréquentes que dans les autres pathologies délirantes. Les thématiques
les plus fréquemment rencontrées sont à contenu de persécution, sexuelle,
mystique ou d’influence. Si les hallucinations représentent le mécanisme délirant
principal de cette pathologie, les autres mécanismes notamment interprétatif
et intuitif peuvent être retrouvés.
Le tableau clinique comporte également un
automatisme mental pouvant être idéo-verbal, idéo-moteur ou idéo-sensitif.
L’évolution est en général chronique marquée
par des périodes de rémission partielle ou totale du délire alternant avec
des périodes de recrudescence délirante. Il a été habituel de dire que
cette riche pathologie délirante s'accompagnait d'un maintien longtemps préservé
de l’intégration sociale. Il faut relativiser cette affirmation. En effet,
si ces patients ne connaissent pas d’évolution aussi déficitaire que les
schizophrènes, ils ont le plus souvent une vie sociale ou affective très
pauvre.
2.2.
Principes
de traitement des psychoses hallucinatoires chroniques :
Il faut aménager et privilégier une relation thérapeutique
basée sur la confiance afin d'amener le patient à accepter les soins.
-
Place de l'hospitalisation :
La place de l'hospitalisation est marginale dans le
traitement des psychoses hallucinatoires chroniques. Elle peut se faire à
l'occasion d'une exacerbation délirante, d'une décompensation dépressive ou
encore à l'occasion d'un bilan réalisé pour éliminer une organicité. Il
faut privilégier les hospitalisations en service libre.
-
Les traitements pharmacologiques :
Les psychoses hallucinatoires chroniques sont améliorées
par la prescription de neuroleptiques incisifs à faible posologie. Le délire
peut entièrement régresser ou persister sous une forme atténuée, mieux tolérée
par le malade. Il faudra, surtout si le sujet est âgé, privilégier l'emploi
de molécules peu anticholinergiques , réduire au minimum la posologie et
fractionner les prises dans la journée afin d'améliorer la tolérance.
Quelques
exemples de traitements sont donnés à titre indicatif ci-dessous :
¨
halopéridol (Haldol 1 à 5 mg par jour) avec éventuellement relais par la
forme à action prolongée (Haldol Décanoasâ).
¨
rispéridone (Risperdal® 1 à 3 mg par jour)
¨
amisulpride (Solian® 100 à 400 mg par jour)
¨
olanzapine (Zyprexa® 2,5 à 5 mg par jour).
-
Place des psychothérapies :
¨
Les thérapies de soutien visent à encourager le patient à gérer des
conflits présents, à mieux connaître les facteurs responsables
d'aggravation délirante (arrêt du traitement, stress important…) et à tolérer
les symptômes délirants résiduels.
¨
Les thérapies cognitives ont pour but de permettre au patient de mieux contrôler
et comprendre son expression délirante.
¨
Les thérapies d'orientation analytique ne trouvent habituellement aucune
indication dans ce type de pathologie.
3.
Les paraphrénies :
3.1.
Description clinique :
Les paraphrénies sont des délires rares dont le mécanisme
délirant prédominant est l'imagination délirante. Il s'agit de délires
sans dissociation mentale, d'évolution chronique et survenant chez des sujets
âgés.
Le début est le plus souvent progressif, marqué par
l'apparition de troubles du comportement, de bizarreries ou de troubles
affectifs.
Le délire, dont le mécanisme est imaginatif, prend
l'aspect de rêveries, de contes ou encore de fiction. Les thématiques
cosmiques et fantastiques seraient plus fréquentes. Ce système délirant
coexiste le plus souvent avec une pensée normale et les fonctions
intellectuelles du patient sont préservées.
Deux formes sémiologiques avaient été individualisées
:
¨
la paraphrénie imaginative de mécanisme imaginatif exclusif.
¨
la paraphrénie fantastique qui associe au mécanisme délirant principal
imaginatif d'autres mécanismes notamment hallucinatoire et parfois un
automatisme mental.
3.2.
Principes
de traitement des paraphrénies :
Les délires imaginatifs sont peu sensibles aux
traitements neuroleptiques. Les principes de traitement sont les mêmes que
ceux des psychoses hallucinatoires chroniques.
Les
principaux diagnostics différentiels des délires chroniques à
envisager :
-
Diagnostics différentiels psychiatriques :
¨
les délires chroniques du sujet âgé se différencient entre eux
essentiellement par le type de mécanisme délirant prédominant (interprétatif,
hallucinatoire ou imaginatif).
¨
La schizophrénie est une pathologie hallucinatoire avec automatisme mental,
d'évolution chronique, qui survient chez des patients plus jeunes. Elle peut
comporter des interprétations délirantes mais le délire est alors flou, peu
cohérent et non systématisé. Les patients peuvent de plus présenter des
troubles affectant le comportement, le langage et l'affectivité rentrant dans
le cadre de la dissociation mentale.
¨
les bouffées délirantes aiguës sont principalement des pathologies
hallucinatoires avec automatisme mental survenant chez des sujets jeunes dont
l'évolution se fait le plus souvent vers la guérison sans séquelle en
quelques semaines.
¨
Les troubles thymiques peuvent comporter des éléments délirants de mécanisme
interprétatif. Le diagnostic sera posé sur la présence initial d’un
trouble thymique et sur le fait que la thématique délirante sera congruente
à la tonalité de l’humeur.
-
Diagnostics différentiels organiques :
En présence d'hallucinations :
¨
On éliminera un syndrome confusionnel et ses principales étiologies.
¨
Devant la présence d’hallucinations olfactives, on recherchera une épilepsie
partielle temporale, ainsi qu’une tumeur osseuse de la lame criblée de
l’ethmoïde.
¨
Devant la présence d’hallucinations visuelles on cherchera (en plus des
causes de confusion mentale) une pathologie neurodégénérative à type de démence
à corps de Lewy (surtout en cas d’association d’une symptomatologie
extrapyramidale en l’absence de traitement neuroleptique et de signes de détérioration
cognitive), une thyroïdite d’Hashimoto (très rare) ou encore une tumeur cérébrale.
Lorsqu'il s'agit d'un délire interprétatif :
¨
Il faudra songer à chercher principalement, notamment chez les sujets âgés,
un début de pathologie neurodégénérative. Les interprétations délirantes
accompagnent fréquemment l'apparition de troubles mnésiques ou de la compréhension.
¨
Les encéphalopathies alcooliques telles que le syndrome de Korsakoff peuvent
comporter quelques interprétations.
¨
Des tumeurs cérébrales, notamment de localisation frontale, peuvent donner
des tableaux cliniques de délire paranoïaque à type d'érotomanie
Pour en savoir plus
Lanteri-Laura
G et Tevissen R, EMC de Psychiatrie, Les psychoses délirantes chroniques en
dehors de la schizophrénie. 1997, 37-299 D10.