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SERVICE de PSYCHIATRIE et de PSYCHOLOGIE MEDICALE

CHU ANGERS

 

 

Cours de psychiatrie du CNUP
COLLEGE NATIONAL DES UNIVERSITAIRES EN PSYCHIATRIE

Module 3  -  Question 44

 

Risque suicidaire de l’adulte :

identification et prise en charge

 

Rédaction : J.P. Kahn  -  Relecture : J.L. Terra

 

 

Objectifs :

 

1.       Connaître les principales données épidémiologiques concernant le suicide en France

2.     Connaître les différents facteurs de risque associés à un risque suicidaire

3.     Savoir évaluer et prendre en charge une personne en situation de crise suicidaire

 

 

PRESENTATION ET CONSIDERATIONS INTRODUCTIVES

 

Pendant longtemps, le corps social et les médecins avec lui, ont abordé le suicide sous un angle moral et philosophique, considérant que cet acte devait être assimilé à un péché et condamné, car contraire à la volonté divine, soit considéré, au contraire, comme l'ultime expression de la liberté individuelle. Actuellement dépénalisé, le suicide est plutôt abordé sur le plan phénoménologique, cherchant à en comprendre et à en expliquer les multiples déterminants. Les recherches tendent à intégrer actuellement différents facteurs de risque et précipitants de nature biologique, psychologique et sociale.

 

La France est actuellement l'un des pays industrialisés les plus touchés par le suicide et d'après les données de l'OMS de 1999 portant sur 97 pays, la France se situe entre le 11ème et le 20ème rang des pays ayant la plus forte mortalité suicidaire, avec près de 12000 décès par suicide par an. Le suicide représente ainsi la première cause de mortalité chez les adultes jeunes, avant les accidents de la route et, pour l'ensemble de la population, le suicide est la troisième cause d'années de vie perdues, après les maladies coronariennes et le cancer.

 

Ces données inquiétantes ont conduit la France, à partir de 1998, à l'instar de nombreux autres pays, à instaurer un Programme National pour la Prévention du Suicide, aboutissant à la mise en place de diverses mesures et programmes d'action pour la période 2000-2005. C'est ainsi que la prévention du suicide est l'une des dix priorités de santé publique définies par la Conférence Nationale de Santé ; par ailleurs, la crise suicidaire, sa reconnaissance et sa prise en charge ont fait l'objet d'une conférence de consensus et de recommandations, en 2001, disponibles sur le site de l'ANAES (www.anaes.fr). Enfin, un programme de formation à l'intervention et de sensibilisation des intervenants des champs sanitaire, éducatif, social et associatif est également piloté, à l'échelon des régions, par l'Agence Nationale d'Accréditation et d'Evaluation en Santé (ANAES).

 

La prévention et la prise en charge des risques et conduites suicidaires nécessitent d'énoncer quelques vérités simples et de se débarrasser de certaines idées fausses, mais fort répandues :

 

               1 : le suicide n'est ni un acte de courage ni un acte de lâcheté ; ce n'est pas non plus un choix librement consenti, mais une mauvaise solution pour un sujet ne pouvant trouver d'autre issue à une souffrance devenue insupportable ;

 

               2 : il est faux de croire que les personnes qui parlent de suicide ne passent pas à l'acte : huit personnes sur dix en parlent avant leur suicide ou tentative de suicide ;

 

               3 : parler ouvertement de suicide à quelqu'un ne lui donne pas envie de le faire ; au contraire ceci permet à la personne d'exprimer ses difficultés, sa souffrance, des idées dont elle a souvent honte et de se sentir entendue, comprise et momentanément soulagée ;

 

 

I : DEFINITIONS DES CONDUITES SUICIDAIRES

 

Il convient de les reconnaître et de les identifier, pour les prendre en charge, ainsi que la souffrance qui les accompagne et éviter un passage à l'acte aux conséquences fatales.

 

         1 : le suicide est une mort volontaire. Dürkheim (1897) l'a défini comme "la fin de la vie, résultant directement ou indirectement d'un acte positif ou négatif de la victime elle-même, qui sait qu'elle va se tuer". On parle de mortalité suicidaire et de sujets suicidés.

 

         2 : la tentative de suicide (TS) est plus difficile à définir, tant est variable l'intentionnalité suicidaire d'un sujet à l'autre ; Ce terme recouvre tout acte par lequel un individu met consciemment sa vie en jeu, soit de manière objective, soit de manière symbolique et n'aboutissant pas à la mort. Il ne s'agit donc pas d'un simple suicide raté. On parle de sujets suicidants et de morbidité suicidaire.

 

         3 : les idées de suicide correspondent à l'élaboration mentale consciente d'un désir de mort, qu'il soit actif ou passif ; ces idées sont parfois exprimées sous la forme de menaces suicidaires. On parle de sujets suicidaires.

 

Les conduites suicidaires comprennent les suicides, mais aussi les tentatives de suicide, certaines conduites  à risque s'apparentant à des "équivalents suicidaires" et les idées de suicide, pouvant survenir -ou non- au cours d'une crise suicidaire.

 

         4 : la crise suicidaire est une crise psychique dont le risque majeur est le suicide. Il s'agit d'un moment dans la vie d'une personne, où celle-ci se sent dans une impasse et est confrontée à des idées suicidaires de plus en plus envahissantes ; le suicide apparaît alors de plus en plus à cette personne comme le seul moyen, face à sa souffrance et pour trouver une issue à cet état de crise.

 

         5 : les "équivalents suicidaires"  sont des conduites à risque qui témoignent d'un désir inconscient de jeu avec la mort. Ces conduites, tout comme certaines lésions ou mutilations auto-infligées non suicidaires, ne doivent pas être abusivement considérées comme des tentatives de suicide.

 

 

II : EPIDEMIOLOGIE DU SUICIDE

 

Le suicide donne lieu, dans la plupart des pays, à la publication des statistiques officielles. Les méthodes de recueil sont en réalité très variables et on estime de manière générale que ces statistiques sous-estiment d'environ 20% le nombre des suicides. En France, elles résultent d'une part des certificats médicaux de décès et d'autre part,  des conclusions formulées par les médecins légistes après l'examen des morts suspectes ou violentes.

 

1 : L'autopsie psychologique est une méthode, née aux Etats-Unis dans les années 1960, dont le but initial était d'élucider les origines des décès pour lesquelles un suicide était suspecté, sans pouvoir être clairement affirmé comme un acte mortel auto-infligé et intentionnel. Elle repose sur une enquête à posteriori, conduite sur la base de l'interrogatoire des proches, l'analyse des sources médicales, le recueil d'informations  concernant les antécédents familiaux et  personnels, la psychologie de la personne décédée, son style de vie, ses relations et les événements ayant précédé la mort. Ces données sont confrontées aux données objectives relatives au passage à l'acte pour conclure – ou non – à l'existence d'un suicide. L'autopsie psychologique s'est rapidement révélée une méthode intéressante pour documenter l'existence de troubles psychiatriques ou somatiques et la nature des soins dont les personnes avaient bénéficié.

 

         2 : indices épidémiologiques du suicide  

 

Trois principaux indices sont utilisés :

 

¨        L'incidence du suicide : elle correspond au nombre de suicides répertoriés chaque année. Elle varie en France de 11000 à 12000 par an (1997), en rappelant que ce chiffre est sans doute sous-estimé de 20%.

 

¨        Le taux de suicide, ou mortalité suicidaire qui s'exprime en nombre annuel de suicides pour 100 000 habitants : il est, en France, de 20 à 24 pour 100 000 globalement, ce qui fait de la France un pays à forte mortalité suicidaire d'après l'OMS (1999).

 

¨        Le taux de mortalité prématurée, attribuable au suicide : il est de 9 à 10%, le suicide étant la 3ème cause de mortalité prématurée en France, après les maladies coronariennes et les cancers. Le suicide représente ainsi 10% des années de vie perdues avant 65 ans, soit autant que les accidents de la circulation ou les maladies cardio-vasculaires.

 

3 : données descriptives

 

¨        le suicide est trois fois plus fréquent chez l'homme que chez la femme. La mortalité suicidaire était en France, en 1995 de 31,5/100 000 chez les hommes et de 10,7/100 000 chez les femmes. Cette surmortalité masculine est observée dans tous les pays disposant de statistiques sur le suicide, à l'exception de la Chine.

 

¨        Le suicide augmente fortement avec l'âge, surtout chez l'homme et surtout après 75 ans.

 

ð     6% des suicides surviennent entre 15 et 24 ans,

ð     66% entre 25 et 64 ans

ð     28% chez les personnes âgées de 65 ans et plus

ð     Chez les adultes jeunes (25-34 ans) le suicide est la première cause de mortalité

ð     Chez les adolescents, il représente la 2ème cause de mortalité (16%), après les accidents de la circulation (38%).

ð     Le suicide est plus rare chez les sujets jeunes et peut être considéré comme exceptionnel chez l'enfant pré-pubère. (0,2/100 000 chez les 5-14 ans, chiffres 1994). Mais la notion de mort, chez l'enfant, ne peut être assimilée aux représentations qu'en ont couramment les adultes, une représentation construite de la mort, dans sa dimension d'irréversibilité, n'étant acquise qu'à partir de 8 ans.

 

¨        La mortalité par suicide varie selon le temps et le contexte géographique : La mortalité par suicide a montré une certaine stabilité jusqu'en 1975, suivie d'une forte augmentation d'indice (près de 40%) de 1975 à 1985, puis d'une légère diminution jusqu'en 1990, pour fluctuer entre 12000 et 11000 décès par an depuis. L'augmentation du suicide chez les jeunes a largement contribué à l'augmentation globale de l'incidence du suicide en France. Les données internationales concernant le suicide sont proches de celles décrites en France, mais il existe aussi des différences : en Angleterre par exemple, on a observé une réduction notable de l'incidence du suicide au cours des années 1960-1970. En France, il existe également des disparités régionales sensibles.

 

         4 : les moyens utilisés

 

¨        les modes de suicide les plus utilisés sont la pendaison (37%), les armes à feu (25%), l'intoxication par médicaments (14%) ; viennent ensuite la submersion-noyade et la précipitation d'un lieu élevé. Il faut signaler que la consommation d'alcool accompagne fréquemment les suicides par arme à feu.

 

¨        Conséquences pour la prévention : l'utilisation de ces moyens semble liée à leur disponibilité et à la réglementation les concernant, en particulier pour les armes à feu. C'est pourquoi, en termes de prévention, le contrôle de l'accès aux moyens de suicide et la diminution de leur potentiel létal représentent des aspects importants.

 

¨        Les "cibles" principales de la prévention du suicide, mais aussi les plus difficiles à atteindre, sont les hommes et les personnes âgées.

 

 

III : EPIDEMIOLOGIE DES TENTATIVES DE SUICIDE

 

         1 : problèmes méthodologiques

 

¨        Le recensement de la prévalence des tentatives de suicide (TS) est difficile car, contrairement aux suicides, il n'y a pas d'enquête systématique sur les TS Les enquêtes en population générale sont évidemment difficiles à mettre en place.

 

¨        Par ailleurs, malgré les recommandations de l'ANAES (2001), toutes les TS ne sont pas hospitalisées ou vues par un médecin. On estime que 30 % des personnes ayant commis une TS sont actuellement maintenues à domicile.

 

         2 : données descriptives

 

¨        Les TS sont estimées en France à 160 000 par an

 

¨        Le sex ratio des TS est l'inverse de celui du suicide : les femmes réalisent deux fois plus de TS que les hommes

 

¨        Effets de l'âge : les TS sont les plus fréquentes entre 15 et 35 ans et diminuent ensuite. Selon une enquête de l'INSERM effectuée en 1999, au moins 5,2 % des filles et 7,7 % des garçons âgés de 11 à 19 ans auraient fait au moins une fois une tentative de suicide.

 

¨        Des études conduites en population générale aux Etats-Unis permettent d'estimer la prévalence sur la vie entière des TS à 4,6 % chez les 15-54 ans (étude NCS, Kessler, 1999).

 

         3 : moyens utilisés

 

¨        90 % des TS résultent d'intoxications médicamenteuses volontaires. Les phlébotomies sont également fréquentes.

 

         4 : pronostic

 

¨        on note 40 % de récidives, dont la moitié dans l'année suivant la tentative de suicide.

 

¨        Il y a 1 % de mortalité par suicide dans l'année qui suit la TS (contre 0,02 % dans la population générale, soit 50 fois plus !).

 

¨        Il y a plus de 10 % de décès par suicide, au cours de la vie, après une première tentative de suicide. Un antécédent de TS est ainsi l'un des plus importants facteurs de risque de suicide.

 

 

IV : EPIDEMIOLOGIE DES IDEES SUICIDAIRES

 

¨        La prévalence des idées suicidaires a fait l'objet de plusieurs enquêtes récentes, permettant de situer le rapport des idées de suicide/TS autour de 4.

 

¨        En population générale, en France, lors d'un sondage réalisé par la SOFRES en janvier 2000, au domicile de 1000 personnes âgées de 18 ans et plus, représentatives de la population française, 13 % d'entre elles ont répondu par l'affirmative à la question : "vous-même, avez-vous déjà envisagé sérieusement de vous suicider ?"

 

¨        Chez les jeunes en France, 23 % des garçons et 41 % des filles de 15 à 19 ans ont rapporté avoir eu des idées suicidaires, soit un taux 4 fois supérieur à celui des TS (Choquet et Ledoux, 1994).

 

¨        La chronicité des idées suicidaires est un facteur de risque de passage à l'acte : celui-ci est de 40 % si les idées sont fréquentes, 15 % si les idées de suicide sont occasionnelles, 1 % en l'absence d'idées suicidaires.

 

¨        Le risque de passage à l'acte est augmenté quant il y a élaboration d'un plan suicidaire, c'est pourquoi la prévention du geste suicidaire passe par le repérage et l'évaluation des idées suicidaires.

 

 

V : FACTEURS DE RISQUE ET POPULATIONS A RISQUE

 

On appelle "facteur de risque" un facteur qui a été mis en relation  statistique avec la survenue d'un suicide, au niveau d'une population donnée. Il ne s'agit donc en aucun cas, d'un facteur individuel. Les facteurs de risque suicidaire sont en interaction les uns avec les autres et l'importance de leur effet va dépendre de la présence ou de l'absence d'autres facteurs.

 

Dans une perspective pragmatique et préventive Rihmer (1996) a proposé de les classer en trois catégories :

 

         1 : les facteurs de risque primaires

 

Les facteurs primaires ont une valeur d'alerte importante, au niveau individuel, ils sont en forte inter action les uns avec les autres et peuvent être influencés fortement par les thérapeutiques. Ce sont :

 

-         les troubles psychiatriques,

-         les antécédents familiaux et personnel de suicide et tentatives de suicide,

-         la communication à autrui d'une intention suicidaire

-         l'existence d'une impulsivité, facilitant le risque de passage à l'acte.

 

         2 : les facteurs de risque secondaires

 

Les facteurs secondaires sont observables dans la population générale. Leur valeur prédictive est faible en l'absence de facteurs primaires. Ils ne sont que faiblement modifiables par les thérapeutiques. Ce sont :

 

-         les pertes parentales précoces

-         l'isolement social : séparation, divorce, veuvage…

-         le chômage ou l'existence d'importants facteurs financiers

-         les "événements de vie" négatifs sévères.

 

 

         3 : les facteurs de risque tertiaires

 

Les facteurs de risque tertiaires n'ont pas de valeur prédictive en l'absence de facteurs primaires et secondaires et ne peuvent être modifiés, ce sont :

-         l'appartenance au sexe masculin

-         l'âge, en particulier l'adolescence et la sénescence

-         certaines périodes de vulnérabilité (phase prémenstruelle chez la femme, période estivale…).

 

         4 : les facteurs de vulnérabilité

 

On appelle "facteur de vulnérabilité" des éléments majorant les facteurs de risque précédemment décrits et pouvant contribuer, dans certaines circonstances, à favoriser un passage à l'acte suicidaire sous l'influence de facteurs précipitants. Il s'agit d'événements de la biographie passée, survenus souvent au cours de pertes parentales précoces, de carences affectives, de violence, de maltraitance ou de sévices…

 

         5 : les facteurs précipitants

 

On appelle facteurs précipitants des circonstances précédent de peu le passage à l'acte ou déterminants dans la crise suicidaire : des événements de vie négatifs, tels une séparation, une maladie, un échec, etc. Il s'agit parfois d'événements anodins pour l'intervenant mais qui revêtent une importance affective d'autant plus grande pour la personne qu'ils réactualisent, à un moment donné, des problématiques liées au passé du sujet, sous-tendues par les facteurs de vulnérabilité précédemment décrits.

 

       6 : les facteurs de protection

 

S'il existe de nombreux facteurs de risque suicidaire, il faut mentionner l'existence de facteurs de protection. Il s'agit essentiellement de facteurs psycho-sociaux tels un soutien familial et social de bonne qualité, le fait d'avoir des enfants, des relations amicales diversifiées, etc. Bien que ceux-ci soient insuffisamment documentés actuellement, on peut citer également "la résilience", c'est à dire la capacité d'un individu à faire face à l'adversité.

 

         7 : au total

 

La mortalité par suicide concerne surtout l'homme mûr et âgé, alors que la morbidité suicidaire concerne surtout la femme jeune. Le risque de décès par suicide augmente avec l'âge, alors que le risque de décès diminue.

 

 

VI : RECONNAITRE ET EVALUER UNE CRISE SUICIDAIRE

 

La notion de "crise suicidaire" offre une méthode pragmatique pour évaluer et prendre en charge une personne à haut potentiel suicidaire.

 

         1 : définition de la crise suicidaire

 

La crise suicidaire peut être définie comme un moment de crise psychique, au cours de la vie du sujet, où celui-ci va épuiser progressivement ses ressources adaptatives, psychologiques et comportementales et envisager , progressivement, par le biais de distorsions cognitives, le suicide comme seule possibilité de réponse aux difficultés qu'il rencontre et éprouve.

 

         2 : signes d'orientation et de diagnostic

 

¨        la crise suicidaire se traduit par des signes de rupture par rapport au comportement habituel de la personne, dont le regroupement doit alerter l'entourage et provoquer une assistance professionnelle.

 

¨        Il peut s'agir de signes manifestes, tels :

 

Ø      la manifestation explicite d'idées et d'intentions suicidaires par le discours ("je veux mourir", "je n'en peux plus", "je voudrais partir…", etc.) ou sous forme de textes, de dessins, chez les enfants en particulier.

 

Ø      l'expression de la crise psychique dans les attitudes, le comportement, les relations interpersonnelles : la personne a un visage triste, douloureux ou inexpressif ; elle peut paraître étrangement absente ; on peut noter un changement de comportement avec l'entourage, un désintérêt ou l'abandon des centres d'intérêt habituels, des décisions irréfléchies, parfois illogiques ou peu compréhensibles, ; une consommation et un recours inhabituel ou excessifs aux médicaments, à l'alcool, aux drogues ; un repli sur soi, une anxiété, une irritabilité, un désinvestissement inhabituels.

 

Ø      des distorsions cognitives : elles traduisent le fait que la personne ne perçoit et n'analyse plus de façon réaliste et objective les événements extérieurs ou ses propres capacités à faire face : elle présente une image altérée et dévalorisée d'elle-même, se sent impuissante à surmonter ses émotions et à affronter les événements de sa vie. Ce sentiment peut confiner au désespoir, à une vision cynique et désabusée d'elle-même et d'autrui, une réduction du sens des valeurs, un sentiment de constriction psychique.

 

Ø      des "comportement de départ" à forte valeur d'orientation doivent être activement recherchés et attirer l'attention : la recherche soudaine d'une arme à feu, le don d'effets personnels investis d'une valeur affective,  la rédaction de lettres aux proches ou d'un testament, en sont des exemples.

 

¨        Les signes d'alerte peuvent varier selon l'âge :

 

Ø      chez l'enfant, la crise psychique sera peu verbalisée et s'exprimera plutôt sous la forme de dessins traduisant des préoccupations pour la mort, par la survenue de plaintes somatiques, des blessures à répétition, une hyperactivité, des troubles du sommeil, une tendance à l'isolement; des troubles des apprentissages ; une réduction des activités ludiques et une tendance à devenir le "souffre-douleur" d'autrui… Des bouleversements familiaux (décès, maladie, séparation…) la maltraitance ou les carences affectives sont des facteurs de vulnérabilité qui doivent être recherchés.

 

Ø      chez l'adolescent, l'expression répétitive d'une intentionnalité suicidaire est un motif suffisant d'intervention. Cependant, il faut également être attentif à un fléchissement inattendu des résultats scolaires, la survenue des conduites déviantes, de prise inconsidérée de risques ou de conduites addictives ; des fugues et des conduites violentes contre soi ou autrui … Les ruptures sentimentales, les échecs scolaires ou autres, les conflits d'autorité, la solitude affective sont des facteurs de vulnérabilité.

 

Ø      chez l'adulte, la crise psychique peut se manifester par des arrêts de travail à répétition, des consultations médicales itératives pour douleurs ou fatigue, des conflits avec la hiérarchie ou le conjoint, un sentiment d'incapacité, d'inefficience ou d'inutilité dans le travail et les relations sociales, etc. Les conflits professionnels ou conjugaux, les maladies graves, la toxicomanie, les blessures narcissiques, l'émigration… sont des facteurs de vulnérabilité.

 

Ø      chez la personne âgée : les idées suicidaires sont rarement exprimées de façon explicite mais plutôt allusivement : "laissez moi partir", "à quoi bon, je dérange tout le monde"… La crise psychique doit être recherchée devant une perte progressive d'intérêt pour les personnes et les activités investies ; un refus de soin, des conduites anorexiques… Chez le sujet âgé, la dépression, les maladies physiques -en particulier celles qui génèrent handicap et douleurs-, les changements d'environnements et le départ en institution (hôpital, maison de retraite…), le décès du conjoint sont des facteurs de vulnérabilité.

 

 

 

 

3 : Evaluation de la crise suicidaire

 

Une manière commode dévaluer les modalités et l'urgence des interventions, préconisées par l'ANAES, consiste à décomposer et analyser la menace suicidaire en trois composantes : les facteurs de risque, l'urgence de la menace, la dangerosité du scénario suicidaire. Cette méthode simple s'avère opérante pour les professionnels de santé, mais aussi pour tous les intervenants de "première ligne" susceptibles d'être confrontés à une menace suicidaire : enseignants, travailleurs sociaux, personnels des différentes administrations, bénévoles… Chacune de ces trois dimensions : risque, urgence, dangerosité est évaluée séparément selon trois degrés d'intensité : faible, moyen ou élevé.

 

¨        Les facteurs de risque suicidaire : RISQUE. En dehors des facteurs de risque déjà mentionnés (âge, sexe, isolement social, communication d'une intention suicidaire) il s'agit de la présence actuelle ou dans les antécédents d'un ou plusieurs troubles psychiatriques :

 

Ø      antécédents familiaux et personnels de suicide : la moitié des suicides (30 à 60 %) sont précédés d'une ou plusieurs TS. Finalement, 10 % des suicidants parviennent à se suicider et, chez eux, le risque relatif de suicide est multiplié part 40 par rapport à la population générale. On admet que, globalement, le taux de suicide chez les suicidants augmente de 1 % chaque année, au cours des dix premières années, la première année étant celle à plus fort risque.

 

Ø       les maladies psychiatriques sévères, en particulier les troubles de l'humeur, l'alcoolisme, les schizophrénies. Le fait de présenter un trouble psychiatrique constitue un important facteur de risque suicidaire, et ce d'autant plus que la pathologie a nécessité une hospitalisation. Les études fondées sur un suivi prospectif montrent que 10 à 15 % des patients décèdent par suicide. Par ailleurs, 4 % des suicides surviennent chez des patients hospitalisés en psychiatrie (c'est à dire durant l'hospitalisation, lors d'une permission ou dans les 48 h suivant leur sortie d'hôpital). Comparativement à des sujets contrôles issus de la population générale, le risque de suicide est de 6 à 22 fois supérieur chez les sujets souffrant d'un trouble mental avéré.

 

Ø      les études "par autopsie psychologique" réalisées aux Etats Unis et en Europe du Nord (Angleterre, Suède, Finlande) montrent l'existence d'un trouble psychiatrique chez plus de 90 % des suicidés. Les diagnostics les plus fréquemment portés sont ceux de dépression (50 %), alcoolisme (30 %), trouble de la personnalité (35 %), schizophrénie (6 %).

 

Ø      la comorbidité psychiatrique est importante chez les suicidés. Les troubles de la personnalité et les abus de substances sont rarement les diagnostics principaux ou exclusifs mais s'associent fréquemment à celui de dépression.

 

Ø      Si l'existence d'un trouble psychiatrique est un facteur de risque primordial, il n'est pas nécessairement un facteur suffisant. C'est dans ces cas que les facteurs de vulnérabilité et précipitants (événements de vie, inter relations avec l'environnement familial …) jouent un rôle déterminant dans le passage à l'acte suicidaire. Dans la semaine qui précède, on retrouve souvent de nombreux conflits interpersonnels, de l'hostilité ou de la violence, et chez les adolescents des conflits disciplinaires ou des circonstances s'accompagnant de forts sentiments de déception, de rancœur, d'humiliation ou d'injustice.

 

Ø      La présence actuelle d'un ou de facteur(s) de risque, leur sommation permettent d'évaluer le degré d'intensité des facteurs de risque

 

¨        L'urgence de la menace suicidaire : URGENCE

 

Ø      deux éléments doivent être pris en compte : l'existence d'un scénario suicidaire et l'absence pour le sujet d'une alternative autre que le suicide.

 

Ø      l'urgence doit être évaluée comme "faible" en l'absence d'un scénario construit, "moyenne" si un scénario existe, mais que sa date de réalisation est éloignée ou imprécise, "élevée" s'il existe une planification précise ou une date arrêtée pour les jours suivants.

 

¨        La dangerosité létale du moyen suicidaire : DANGEROSITE

 

Ø      doivent être évaluées la dangerosité mortelle du moyen considéré et son accessibilité : la personne peut-elle facilement disposer -lors de l'évaluation- du moyen qu'elle se propose d'utiliser ? Si l'accès au moyen est facile et/ou immédiat, la dangerosité doit être évaluée comme "élevée", l'intervention doit alors être immédiate et viser, en priorité, à empêcher l'accès à ce moyen.

 

 

VII : PRENDRE EN CHARGE LA PERSONNE EN CRISE SUICIDAIRE

 

         1 : aborder et interroger un sujet en crise suicidaire

 

¨        La rencontre doit pouvoir se dérouler en toute confidentialité, en face à face, dans un endroit calme et favorisant l'expression des affects. Il faut organiser le contexte de l'entretien au préalable, chaque fois que cela est possible.

 

¨         L'entretien doit être conduit de façon à la fois directive et empathique, laissant à la personne le temps de s'exprimer. Il n'est pas inutile de laisser le sujet pleurer ou exprimer son désespoir, son désarroi, ses frustrations ou sa colère. Les sujets en crise psychique sont souvent en proie à une souffrance intense et ne peuvent réfléchir ou s'exprimer de façon posée. L'entretien doit en premier lieu permettre de soutenir le sujet, établir une relation de confiance, mettre à jour sa souffrance et l'assurer qu'on le comprend.

 

¨        Si l'on suspecte une personne d'être en crise suicidaire, il faut l'interroger simplement et après un temps introductif, aborder directement le sujet d'éventuelles idées suicidaires.

 

¨        Le questionnement de l'intervenant doit se faire dans un style sobre, simple et direct, évitant les jugements de valeur et les périphrases, telles que "il me semble que…", "vous avez l'air de…".

 

¨        On peut procéder de façon interrogative : "avez-vous des idées de suicide, envie de mourir ?"; on peut également utiliser le mode affirmatif : ("vous êtes en colère n'est ce pas?") et reformuler en résumant, à certains moments, la situation telle qu'on l'analyse, en insistant toujours sur l'affectivité, les sentiments de la personne : "si je comprends bien ce que vous me dites, vous êtes très en colère parce que…").

 

2 : identifier l'existence de facteurs précipitants et de protection

 

¨        L'identification et l'évaluation de facteurs de vulnérabilité et de facteurs précipitants sont importants pour montrer à la personne que l'on comprend sa souffrance, pour évaluer si elle a envisagé des alternatives possibles et comment elle y réagit, pour juger des ressources psychologiques dont elle peut encore disposer.

 

¨        L'entretien doit permettre d'identifier d'éventuelles sources de soutien dans l'entourage et apprécier comment la personne en crise les perçoit. On peut recenser les intervenants déjà impliqués ou possibles, relever leurs coordonnées et proposer de les contacter et de les informer.

 

¨        La capacité de coopération de la personne est importante à évaluer pour juger de l'urgence d'une intervention.

 

 

 

 

3 : distinguer entre crise psycho-sociale et crise en rapport avec un trouble mental

 

La situation n'est évidemment pas la même si la menace suicidaire est en relation avec une pathologie psychiatrique manifeste, ou si elle est sous-tendue par une crise psycho-sociale. La prise en charge d'un trouble psychiatrique est évidemment prioritaire qunad elle existe et justifie alors souvent une hospitalisation. En revanche, dans certains cas, l'exploration du contexte de vie du sujet permet d'identifier la nature psycho-sociale de la crise et d'analyser les circonstances qui conduisent la personne à vouloir mourir. Cette distinction permet de juger des capacités de la personne à relativiser sa situation et de la possibilité, pour l'intervenant, de réduire la tension psychique. Elle permet d'orienter la prise en charge et les interventions proposées.

 

         4 : proposer une orientation et intervenir

 

¨        Un traitement médicamenteux symptomatique peut être proposé en cas de souffrance majeure persistante, d'agitation irrépressible et pour permettre la poursuite d'une prise en charge adéquate. Dans l'immédiat, un traitement anxiolytique et/ou sédatif peut être prescrit. Un traitement de fond ne doit être entrepris qu'en hospitalisation, si elle est nécessaire).

 

¨        L'hospitalisation s'impose si l'urgence est élevée, si le suicide est planifié, les moyens mortels disponibles, si le sujet est "froid" et coupé de ses émotions, ou impulsif, s'il refuse toute coopération ou présente d'importants troubles du jugement. Une hospitalisation sans consentement (Hospitalisation à la Demande d'un Tiers : HDT) peut être nécessaire, en l'absence de coopération du sujet, on doit cependant toujours expliquer à la personne les raisons conduisant à cette décision et son caractère temporaire. L'hospitalisation, qu'elle soit réalisée en accord avec la personne ou sous contrainte, a pour but de protéger la vie du sujet, de mettre temporairement à distance les situations ayant précipité l'état actuel de crise suicidaire , d'établir une relation de confia de qualité suffisante et réévaluer plus finement ultérieurement, l'état psychiatrique et/ou le contexte d'existence de la personne. L'ANAES recommande l'hospitalisation systématique pendant 48 heures au moins de tout adolescent suicidant. Un patient suicidaire présentant des signes d'intoxication (alcool, psychotropes… ) doit être maintenu au service des urgences jusqu'à la disparition des signes d'intoxication et une nouvelle évaluation clinique.

 

¨        Surveillance d'un patient hospitalisé : les suicides en milieu hospitalier représentent 5 % des suicides ; l'hospitalisation d'un patient suicidant n'est donc pas à elle seule, une mesure suffisante pour éviter un passage à l'acte et il est indispensable d'évaluer la potentialité suicidaire également chez les patients hospitalisés. Deux profils cliniques distincts sont retrouvés dans les études :

 

Ø      en hôpital général, il s'agit de personnes âgées de la soixantaine, atteints de maladies chroniques et de cancers,

Ø      en service de psychiatrie, il s'agit en général de sujets jeunes, schizophrènes ou dépressifs. Le suicide survient alors en début de séjour ou avant une sortie non désirée ou redoutée par le patient.

 

Certaines précautions peuvent être prises consistant à limiter l'accès à des moyens mortels, en particulier la défenestration et la pendaison : ouverture limitée des fenêtres, suppression des moyens d'appui résistant au poids du sujet et permettant une pendaison : crochets, tringles à rideaux, poignées… La vérification des effets personnels de la personne, en sa présence et après avoir recherché son accord, permet également de neutraliser certains moyens : couteaux, ceinture, médicaments, etc. Si la situation l'exige, le patient devra être installé dans une chambre proche du local de soins et une surveillance rapprochée devra être prescrite. A l'hôpital, les périodes de changement (début ou fin d'hospitalisation, transfert dans une autre chambre ou unité, absence du médecin référent habituel…) sont des périodes où le risque est le plus élevé.

 

¨        Prise en charge ambulatoire : si l'évaluation de la menace suicidaire est moyenne ou faible, une prise en charge ambulatoire peut être proposée, à condition de s'assurer d'un soutien rapproché : coopération du sujet, entourage proche et disponible, nouvel entretien programmé et accepté avec la personne.

 

¨        Prise en charge psychologique et suivi. Que le patient soit hospitalisé ou non, le but principal de la prise en charge d'un sujet en crise suicidaire consiste à définir et mettre en place des alternatives valables au projet suicidaire. L'évaluation du ou des facteurs précipitants, l'analyse de la manière dont la personne perçoit la crise actuelle, le soutien dont elle dispose, ses capacités personnelles à mobiliser ses propres ressources adaptatives vont aider à construire ces alternatives. C'est pourquoi, l'entretien doit également permettre de repérer les éléments positifs de sa vie et de sa personnalité, même si elle n'est pas toujours capable de les percevoir êlle même.

 

5 : Suivi et évaluation

 

Le suivi doit être réfléchi et organisé pas à pas, dès le début de la prise en charge et assurer la permanence et la continuité de la prise en charge. En fonction des besoins de la personne et avec sa collaboration, des ressources adéquates et effectivement accessibles seront recherchées et sollicitées dans l'entourage du sujet ou au niveau institutionnel. Il faut planifier pas à pas des démarches simples : téléphoner à un proche, au médecin traitant habituel, faire intervenir l'assistante sociale ou aider à la réalisation de telle ou telle démarche.

 

L'intervenant doit s'assurer personnellement que ces relais et jalons aient effectivement été mis en place.

 

Une réévaluation de la situation après quelques jours est toujours souhaitable : elle permet à la personne de sa fixer des échéances pragmatiques et atteignables. On considère que, même chez une personne sans facteur de risque primaire, une vigilance de l'entourage est nécessaire dans les douze mois suivant une crise suicidaire ou une tentative de suicide.

 

 

VIII : PREVENTION DU SUICIDE

 

         1 : l'impossible prédiction du suicide

 

L'identification de plus en plus précise et étendue de facteurs de risque suicidaire ne permet cependant pas de pouvoir prédire un suicide. Si les différents facteurs de risque ont une utilité en pratique clinique, leur connaissance permet d'envisager deux catégories d'actions préventives : l'une vise à mieux traiter certains facteurs de risque curables, tels les troubles psychiatriques, en particulier les dépressions, l'autre consiste à identifier des populations à haut risque suicidaire, de manière à leur appliquer des mesures préventives. La rareté statistique du suicide fait que, dans ces populations à risque, la "prédiction" du suicide s'accompagne d'un nombre très élevé de faux positifs. Il faut donc limiter cette prévention à des mesures peu contraignantes, tant sur le plan individuel que sur le plan économique, si l'on ne veut pas voir leur coût et leurs inconvénients excéder les bénéfices qu'on peut en attendre.

 

         2 : la nécessaire prévention médicale

 

Quatre types d'interventions médicales peuvent cependant permettre de prévenir utilement le suicide :

 

¨        le repérage et l'intervention lors de situations de crise suicidaire

¨        la prise en charge des suicidants

¨        l'amélioration du diagnostic et du traitement des troubles mentaux, en particulier des dépressions

¨        la prévention du suicide auprès des sujets à hauts risques que sont les malades hospitalisés en psychiatrie.

 

Les deux premières : repérage et intervention lors de situations de crise suicidaire et la prise en charge des suicidants ont fait l'objet, en France de conférences de consensus, soutenues par l'ANAES (cf. bibliographie).

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Pour en savoir plus :

 

 

1.       Agence Nationale d'Accréditation et d'Evaluation en Santé (ANAES) : Prise en charge hospitalière des adolescents après une tentative de suicide. Recommandations pour la pratique. Novembre 1998. Texte long disponible sur demande à l'ANAES et par internet (www.anaes.fr)

 

 

2.     Agence Nationale d'Accréditation et d'Evaluation en Santé (ANAES) : La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge. Octobre 2000. Texte long et recommandations disponibles sur demande à l'ANAES et par internet (www.anaes.fr)

 

 

3.     HARDY P., La prévention du suicide. Rôle des praticiens et différentes structures de soins. DOIN Editeurs, Paris 1997

 

 

4.     WALTER M., KERMARREC I., Idées ou conduites suicidaires : orientation diagnostique et conduite à tenir en situation d'urgence, Revue du Praticien, 1999, 49 : 1685-1690