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Figures de la parentalité
dans la peinture occidentale et les arts visuels Les figures de la transgression : Deux figures de la
dévoration : Cronos et Médée
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DIVINE COMEDIE
Dante
chant XXXIII
Ce pécheur souleva du sinistre repas
sa bouche, en l'essuyant sur les cheveux du crâne qu'il avait fortement entamé par-derrière, et puis il commença : « Tu veux que je ravive une immense douleur, qui m'oppresse le cœur sitôt qu'il m'en souvient, sans que j'aie à le dire. Pourtant, si mon récit doit être la semence qui germe l'infamie au traître que je ronge, tu me verras parler et pleurer à la fois. Je ne sais pas ton nom, ni de quelle manière tu descendis ici ; mais, l'ayant écouté, je crois avoir compris que tu viens de Florence. Tu sauras que mon nom est Ugolin, le comte ; celui-ci s'appelait Ruggieri, l'archevêque : voici pourquoi je suis le voisin que tu vois. Comment, par un effet de ses desseins perfides, trompant ma confiance, il me fit prisonnier et puis me mit à mort, je n'ai plus à le dire. Mais ce que tu ne pus apprendre de personne, c'est-à-dire à quel point ma mort fut odieuse, écoute, et tu sauras s'il m'a bien fait souffrir. Un tout petit pertuis dans cet étroit cachot qu'on nomme de la Faim depuis que j'y passai et où d'autres encor devront être enfermés,
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Chavenard 1845 1846 "Ugolin et l'un de ses fils" Musée du Louvre
Ugolin et
ses fils
Ugolin et ses fils dans un souterrain Dessin Jean-Baptiste Carpeaux Musée du Louvre
Ugolin et ses fils, DELACROIX Eugène , Musée du Louvre Ugolin
et ses enfants, Auguste Rodin, entre 1876 et 1904, Musée
d'Orsay |
Si les cas de cannibalisme sont devenus affaires exceptionnelles à l'époque moderne, il n'en demeure pas moins que l'imaginaire populaire et l'imaginaire enfantin perpétuent ce mythe surtout dans sa forme de la consommation des enfants. Les contes pour enfants et la littérature enfantine autour du thème de l'ogre et de l'ogresse, les chansons populaires ("Il était un petit navire"), les "histoires drôles" des enfants, en sont de bons exemples. Une des principales caractéristiques imaginaires du sauvage des terres vierges est qu'il est possiblement cannibale. Cette hantise nous vient de Christophe Colomb, qui découvrît non seulement l'Amérique mais qui inventât aussi le mot "cannibale", déformation de "cariba". Les indiens Arawak, appelés "Cariba", premiers occupants des Antilles étaient suspectés d'anthropophagie. Christophe Colomb rapprocha ce terme du mot cynocéphale issu de la mythologie gréco-latine et utilisé pour désigner des hommes à un seul œil et à museau de chien qui dévoraient les hommes en une seule bouchée.[4] (voir la légende de Saint Christophe) De même et de façon sublimée certaines expressions affectueuses courantes des parents à leurs jeunes enfants portent la trace de cette pulsion archaïque : "Je vais te manger tout cru", "Il est mignon à croquer", "On en ferait qu'une bouchée", ...etc. Plus perverses sont les menaces déguisées et projetées sur des personnages imaginaires : "Si tu ne manges pas, le loup va venir te manger", traduisant une agressivité orale inquiétante. La peur du loup, des dinosaures, des "crocrodiles", spécifique des phobies structurantes du jeune âge n'a rien a voir avec les angoisses engendrées par des parents qui terrifieraient leurs enfants avec de tels substituts à leur autorité défaillante et dévoyée. Aujourd'hui, si cette forme mythologique de l'horreur ne se rencontre plus, c'est sous la clinique de la dévoration psychique qu'on peut l'observer, c'est à dire non par la disparition du corps mais par l'anéantissement de l'identité, par la destruction du désir de vivre ou par l'oubli ou la négation de l'existence de l'enfant. Ces meurtres psychiques de l'enfant peuvent être le fait d'une mère psychotique annulant l'identité de son enfant en ne lui reconnaissant aucune altérité, d'un père meurtrissant les aspirations de son enfant par une exigence extrême ou de parents désespérant le désir de vivre de leur enfant en le délaissant, pour ne citer que quelques exemples.
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A l'époque moderne, les cas de cannibalisme lorsqu'ils surviennent, nourrissent abondamment la chronique judiciaire et médicale. Les cas de cannibalisme sont rarissimes [1] [4] [8]. Plus exceptionnels encore sont les cas de cannibalisme de parents envers leurs enfants. L'actualité française récente de quatre cas de femmes qui avaient conservé pendant plusieurs années les corps de plusieurs de leurs enfants nouveaux-nés dans le congélateur familial est sans aucun doute à mettre sous cette rubrique (Pithiviers 2000, Tours 2006, Alberville 2007, Guingamp 2008). Comme dans l'affaire Salomé Guiz (voir ci-dessous), c'est leurs maris qui découvrirent les cadavres et qui informèrent les autorités.
De semblables récits de consommation des enfants par leurs parents se retrouvent lors de périodes de famine. Marc en 1840 ( lire son mémoire) rapporte quelques cas historiques répertoriés : en 1573, lors des guerres de religion, au siège de Sancerre, des parents ont déterré leur fille de trois ans, morte de faim et s'en sont nourris.
Pendant le blocus de Paris, par Henri IV en 1590, une dame riche fit extraire secrètement de leurs cercueils ses deux enfants mortes de faim, les fit saler pour s'en servir de nourriture.
Un médecin arabe, Abdallatif, rapporte que lors de l'horrible famine de 597 en Egypte des parents furent présentés au juge pour avoir fait rôtir leur enfant. L'histoire juive fournit deux autres exemples de mères qui poussées par la faim, lors du siège de Samarie et du siège de Jérusalem par Titus [6], tuèrent et mangèrent leur enfant.
A l'époque moderne, dans une société d'abondance, il est remarquable que l'imaginaire collectif ait conservé les stigmates de l'inquiétude de la famine et de la disette et recherche encore cette circonstance atténuante à l'infanticide, comme ce fît le docteur Marc dans le récit extraordinaire du cas de Salomé Guiz :L'affaire Salomé Guiz dite affaire de Sélestat (1817)
En 1817, à Strasbourg, une pauvre femme de bûcheron, dénoncée par son mari, passe devant les assises pour avoir consommé la jambe de son dernier né.
"Salomé Guiz comparait devant la cour d’Assises de Strasbourg pour le meurtre de son enfant de quinze mois. Elle est âgée de quarante et un ans, mariée, mère de trois enfants et issue d’un village très pauvre. Lors d’une absence de son mari parti mendier dans un bourg voisin, elle égorge son enfant, arrache la cuisse droite qu’elle fait cuire avec des choux et mange. Au retour de son mari qui s’inquiète de ne pas voir l’enfant, elle répond qu’il se repose. Elle le conduit ensuite dans la pièce où l’enfant est posé dans un baquet, entouré de linges. Il lui manque le membre inférieur droit. Le père s’aperçoit que l’enfant est mort, et s’enfuit aussitôt prévenir les autorités locales." [1]
Le docteur Marc, premier médecin du Roi et le docteur Fodéré publieront chacun de leur côté un mémoire sur ce cas hors du commun. Marc dans "[2]De la folie considérée dans ses rapports avec les questions médico-judiciaires (1840) (lire son mémoire) et Fodéré dans "[3]Essai médico-légal sur la folie vraie simulée et raisonnée (1832) " ( lire l'extrait). La remarque la plus étonnante de Marc concerne sa recherche de la circonstance atténuante de la faim : '"Elle avait encore dans sa maison des légumes, quelques poules, ainsi qu'une chèvre ; qu'en conséquence, les tourments de la faim portée à l'extrême, n'avaient pu la pousser à l'acte désespéré dont elle s'était rendue coupable".
Références
1 Mutilations post-mortem S. Lyasse ; J.-L. Senninger , Revue Synapse Mai 2001 N° 176
http://www.medspe.com/site/templates/template.php?identifiant_article=3012 De la folie considérée dans ses rapports avec les questions médico-judiciaires (1840) Marc
3 Essai médico-légal sur la folie vraie simulée et raisonnée (1832) Fodéré
4 L’anthropophagie K. Henon, J.-L. Senninger Revue Synapse novembre 2006 N° 229
5 La figure d'Athamas dans la mythologie gréco-latine Anne-Claire SOUSSAN 2006 Thèse de doctorat lettres classiques (Grec) Paris 10
6 [La Chronique de Godefroid de Bouillon et du siège de Jérusalem]
7 Histoire de Cyrus (Hérodote)
8 Au Sierra Leone, Charles Taylor poussait ses hommes à pratiquer le cannibalisme (article l'édition du Monde du 15.03.08)