Figures de la parentalité
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Les figures de la transgression : Jephté, Abraham, figures de parents infanticides.
1- Jephté : la tradition
La
bible rapporte deux scènes de sacrifice d'enfant, celui de la fille
de Jephté et celui du fils d'Abraham, Isaac, bien qu'on
puisse lire dans le livre du Lévitique Chapitre 18 v 21 ;
"Tu ne livreras aucun de tes enfants pour le faire passer à
Moloc" ce qui atteste qu'à cette époque une certaine conscience
semblait se manifester contre les sacrifices rituels d'enfants.
Le sacrifice de la fille de Jephté est moins
connu que celui d'Isaac, le fils d'Abraham. L'histoire est
pourtant la même : c'est la seule enfant de Jephté et il s'agit d'un
sacrifice votif, promis à Yahvé en action de grâce d'une victoire
militaire. Cette enfant ne sera pas sauvée, bien que son père,
d'après le récit biblique, ait attendu deux mois avant d'accomplir
son vœux. Ce qui est nouveau dans ce récit et ses
représentations est l'affliction du père et du peuple qui accompagne
l'obligation de la réalisation du sacrifice. Seraient-ce les prémices
d'une révolte de l'esprit ?
"Jephté sur le point de sacrifier sa
fille" Charles Le Brun 1656
Florence, Musée des Offices
Jg 11:30 - Et Jephté fit un vœu
à Yahvé : " Si tu livres entre mes mains les Ammonites, celui qui sortira
le premier des portes de ma maison pour venir à ma rencontre quand je
reviendrai vainqueur du combat contre les Ammonites, celui-là appartiendra à
Yahvé, et je l'offrirai en holocauste. " Jephté passa chez les Ammonites
pour les attaquer et Yahvé les livra entre ses mains. Il les battit depuis Aroèr
jusque vers Minnit vingt villes , et jusqu'à Abel-Keramim. Ce fut une très
grande défaite; et les Ammonites furent abaissés devant les Israélites.
Lorsque Jephté revint à Miçpé, à sa maison, voici que sa fille sortit à sa
rencontre en dansant au son des tambourins. C'était son unique enfant. En
dehors d'elle il n'avait ni fils, ni fille. Dès qu'il l'eut aperçue, il déchira
ses vêtements et s'écria : " Ah! ma fille, vraiment tu m'accables! Tu es
de ceux qui font mon malheur! Je me suis engagé, moi, devant Yahvé, et ne puis
revenir en arrière. " Elle lui répondit : " Mon père, tu t'es engagé
envers Yahvé, traite-moi selon l'engagement que tu as pris, puisque Yahvé t'a
accordé de te venger de tes ennemis, les Ammonites. " Puis elle dit à son
père : " Que ceci me soit accordé! Laisse-moi libre pendant deux mois. Je
m'en irai errer sur les montagnes et, avec mes compagnes, je pleurerai sur ma
virginité. " - " Va ", lui dit-il, et il la laissa partir pour
deux mois. Elle s'en alla donc, elle et ses compagnes, et elle pleura sa
virginité sur les montagnes. Les deux mois écoulés, elle revint vers son père
et il accomplit sur elle le vœu qu'il avait prononcé. Elle n'avait pas connu
d'homme. Et de là vient cette coutume en Israël : d'année en année les
filles d'Israël s'en vont se lamenter quatre jours par an sur la fille de Jephté
le Galaadite.
Elle inclina la tête et partit. Ses compagnes,
Comme nous la pleurons, pleuraient sur les montagnes,
Puis elle vint s'offrir au couteau paternel.
Voilà ce qu'ont chanté les filles d'Israël.
Alfred de Vigny (écrit en 1820)
Edouard Debat-Ponsan 1890
"La fille de Jephté"
Ce récit du sacrifice de la fille de Jephté,
le récit du sacrifice d'Abraham, les études anthropologiques ainsi
que l'analyse historique démontrent que dans toutes les sociétés du
pourtour méditerranéen
l'infanticide semble avoir existé sous des
formes diverses, parfois même institutionnalisées.
Dans l'antiquité, à Rome l'exposition des
enfants était coutumière (1) et à Sparte les nouveaux-nés "disgraciés
de la nature et mal conformés" étaient précipités dans le
gouffre des Apothètes (4).Sophocle traite du sujet de
l'exposition des enfants dans "Oedipe Roi" et de
l'infanticide rituel dans Iphigénie. A Carthage les rituels
de sacrifices d'enfants au dieu Moloch sont bien documentés. Flaubert
a repris ce thème dans "Salombô".
Bertholet
Flemalle (1641-1675), Le sacrifice d'Iphigénie
Les légendes qui entourent la naissance de l'Islam
comportent aussi un récit de sacrifice d'enfant qui a plusieurs
versions. Le propre père du prophète a failli être sacrifié par
son père pour une histoire de trésor enfoui dans un puit par
Abraham lui-même (Ibrahim pour les musulmans). C'est grâce à
l'intervention de ses frères et d'un tirage au sort qu'il a eu la vie
sauve… au prix de cent chameaux. Dans une autre version (2
), le grand-père du
prophète promet de sacrifier son dixième fils s'il réussit à avoir
des enfants, promesse qu'il doit racheter avec cent chameaux, ce dixième
enfant étant son préféré. Dans le même ouvrage, Virgil
Gheorghiu rapporte qu'en l'an 621, à La Mecque, Mahomet prête
avec les douzes "Ansars" le " serments des femmes"
qui rappelle les dix commandements de Moïse :
"Nous jurons....
Que nous ne volerons pas.
Que nous ne forniquerons pas. Que nous ne tuerons jamais nos enfants..."
A l'époque moderne, l'infanticide, s'il reste toujours un problème
d'actualité, n'est plus considéré comme une
nécessité économique ou de régulation des naissances et encore
moins comme une nécessité rituelle ou religieuse, mais
bien comme un crime ou un acte pathologique. Le Docteur
Ambroise Tardieu publia en 1868 la première étude médicale sur
l'infanticide : "Étude
médico-légale sur l'infanticide". [5]
4 - L'enfant qui venait de naître, le père
n’était pas libre de l’élever ; il allait le porter dans
un endroit nommé Lesché, où les plus anciens de la tribu siégeaient.
Ils examinaient l'enfant, et, s’il était bien constitué et
vigoureux, ils ordonnaient de le nourrir en lui assignant une des
neuf mille parts de terrain. Mais s’il était disgracié de la
nature et mal conformé, ils l’envoyaient au lieu dit Apothètes
[Dépositoire], un gouffre situé le long du Taygète, dans la pensée
qu’il n’était avantageux ni pour lui, ni pour la cité, de
laisser vivre un être incapable, dès sa naissance, de bien se
porter et d’être fort. (Plutarque, "Vie de
Lycurgue", dates incertaines, Traduction Bernard Latzarus,
1950)